Au lieu de répondre positivement, l’auteure tente de sauver ses rêves d’enfance en faisant l’éloge du Tour de France.

Cela fait bien dix ans, avec l’affaire Festina, que toute personne capable de lire la presse ou d’écouter la radio aura compris que le Tour ne sert qu’aux scientifiques des grands groupes pharmaceutiques, toujours à l’affut de nouvelles molécules. Une véritable guerre scientifique existe d’ailleurs entre ceux qui cherchent à synthétiser de nouvelles molécules dopantes et ceux qui cherchent à les détecter. Des militants de la protection des animaux s’étant indignés des conditions réservées aux animaux de laboratoires (les rats mais aussi les cochons d’inde), il restait heureusement les cyclistes.

On pouvait penser que Béatrice Houchard posait cette question, « Faut-il arrêter le Tour de France ? », sur un mode phatique, dans une visée presque pédagogique, pour avoir l’occasion de ressasser ce que nous savons déjà : le Tour est pourri jusqu’aux boyaux (de vélo !) et le plus tôt on arrêtera cette mascarade, le mieux ce sera. Ecrire 120 pages pour cela, c’était a priori presque exagéré, mais puisqu’il y a toujours des gens qui se disent intéressés par le Tour sur le plan sportif, cela pouvait sembler nécessaire.

Hélas, pas besoin d’attendre la conclusion de ce petit opuscule, pour comprendre la réponse que donne l’auteure à la question en titre, « impossible » d’arrêter le tour (p. 119). En guise d’introduction elle explique « c’est un spectacle, c’est une fête ; c’est un peu de la géographie, de l’histoire et du patrimoine du pays. (…) [Le] Tour de France redonne chaque été le sourire aux grincheux, ranime les villages endormis et glorifie la beauté des paysages de  France. (…) [C’est] l’un des facteurs de l’unité nationale. » (pp. 7-8) Et ce n’est pas tout ! Le Tour permet également de palier les carences de notre système éducatif dans l’enseignement des langues vivantes ! Si ! C’est doctement expliqué, que dis-je ‘démontré’, p.81 : « [Les amateurs du Tour] savent que Tour se dit Giro en Italien (sic) et Vuelta en Espagne, même s’ils n’ont pas étudié les langues étrangères. ». Et attention, critiquer le Tour, se serait affronter M. Sarkozy, très présent dans ce ‘texte’ (soyons objectifs dans la dénomination). « Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, aime le Tour de France. Il ne triche pas. Il aime et connaît vraiment le sujet. Il raconte volontiers comment il était parti sur les routes du Tour en 1967 pour remplir son carnet d’autographes. » (p. 68) Alors si jamais l’Union cycliste (UCI) internationale venait à mettre des bâtons dans les roues des organisateurs du Tour, ils auraient un super héros en face d’eux : « En cas de tentative de putsch, l’UCI trouverait face à elle le pouvoir politique, surtout avec un président de la République transformé en supporter n°1 du Tour. » (p. 97). Le Tour est éternel car il n’a pas de valeur. Pour l’auteur qui s’enorgueillit des propos du président d’Amaury sport organisation (ASO) : le Tour fait partie du patrimoine français, « c’est exactement comme si vous demandiez ‘combien vaut la Joconde ? »

Pourtant, le Tour est bien une affaire de gros sous et les collusions sont nombreuses entre les différents acteurs, à commencer par le quotidien L’Equipe, propriété des Éditions Philippe Amaury. L’auteure passe très rapidement sur les enjeux financiers, prétendant que l’ASO se distingue de l’UCI en mettant en avant « des critères sportifs et éthiques, et non financiers » (p. 93). Mais pour quelqu’un qui évoque « quarante cinq minutes de spectacle » pour décrire le passage des 180 véhicules, 600 caravaniers représentant 40 marques, qui vont distribuer 16 millions de cadeaux », il ne faut pas espérer la moindre trace d’ébauche de pensée critique. C’est à se demander si Mme Houchard, qui « nourrit depuis son enfance une passion pour le Tour de France » (quatrième de couverture), n’allume pas son téléviseur de 19h55 à 20h puis de 20h30 à 20h50 pour ne pas rater le formidable « spectacle » qu’offre TF1 à ses spectateurs ! Là aussi il y a des merveilleux « cadeaux ».

Pourtant, force est de reconnaître que les premiers chapitres sont instructifs. L’auteure rappelle les principaux cas de dopage, depuis la création du tour, en 1903. Cet élément est d’ailleurs ce qui est habilement choisi dans le texte de présentation en quatrième de couverture « depuis 1968, 85% des vainqueurs du tour de France ont contrevenu, à un moment ou un autre de leur carrière, à la réglementation antidopage. » Comme annoncé dans le titre du deuxième chapitre, le dopage est « vieux comme le Tour ». Les coureurs tournent à la « cocaïne », au « chloroforme », à la « pommade » et aux « pilules », notait déjà Albert Londres en 1924. Même si des premiers contrôles sont introduits en 1966, le Tour a toujours été le tour de la dope. Le Tour, c’est d’ailleurs « l’opium du peuple ». Béatrice Houchard se réjouit de la fraternité qui semble y régner : « il n’y a plus de lutte des classes », explique-t-elle non sans cacher son enthousiasme (p. 57).

Alors, pourquoi s’en prendre à la « presse parisienne » (p. 69) dès qu’un journal mentionne ces évidences ? Pourquoi traiter ceux qui, à vrai dire, ne font que se limiter aux évidences, de « petits marquis du journalisme, qui ne quittent guère leur bureau mais sont capables d’expliquer au Président de la République qui il doit nommer au gouvernement et comment il doit lutter contre la crise. » C’est vrai quoi, les effrontés, ils osent même critiquer l’action de l’omni-président !

Attachée à « la France (…) des bistrots qui tentent de survivre malgré l’interdiction de fumer dans les lieux publics » (p. 111), l’auteure ne comprend pas que l’espoir vient des chaînes de télévision qui ont décidé d’arrêter de retransmettre le Tour de la Dope, comme ARD et ZDF en 2007 et encore ARD cette année. Elle le mentionne (p. 13 et p. 97) sans réaliser que c’est le mépris pour l’événement et sa dénonciation qui permettra de se débarrasser de cette gangrène estivale.

Bien sûr, on peut compatir avec Mme Houchard en comprenant que c’est son rêve d’enfance qui est sali, mais devenir adulte, n’est-ce pas aussi trouver les moyens d’affronter le réel, en nourrissant de nouvelles espérances ?