L’historien Tony Judt, qui avait été au centre d’une violente polémique en 2003 autour d’un de ses articles dans la New York Review of Books dans lequel il se faisait l’avocat d’un état binational sur l’ensemble du territoire israélo-palestinien   , est récemment intervenu dans le débat en cours sur la colonisation israélienne dans les Territoires Occupés. Dans un article du New York Times, il fait part de ses interrogations, de ses critiques vis-à-vis de la colonisation. Se souvenant des anciens kibboutzim agricoles, devenus aujourd’hui de prospères entreprises, il rappelle leur fondation en tant que colonies, implantations, bien loin du stéréotype religieux et ultra-nationaliste. Tout comme Maale Adoumim, devenue troisième ville d’Israël, et dont la séparation d’avec le territoire israélien proprement dit s’est effacé, au fur et à mesure de l’installation des "faits sur le terrain" chers à Moshe Dayan.
    S’appuyant sur les textes de loi internationaux, et sur sa propre expérience de spécialiste de l’histoire européenne, Tony Judt insiste sur le fait que le phénomène des implantations est profondément ancré dans l’expérience israélienne, dans une dynamique désormais en rupture avec le droit international. Il suit en cela sa réflexion d’homme dont les convictions de jeunesse, ont été ébranlées, pour s’inscrire dans le mouvement de réflexion israélien qu’on peut qualifier de post-sioniste, revenu de ses premières expérience, et qui s’interroge, et interroge Israël, le plaçant face à ses contradictions, qui lui sont douloureuses et en tant qu’intellectuel, et comme homme profondément attaché aux valeurs revendiquées par le pays.
    Cette contribution en elle-même est notable, et a le mérite d’insister sur des faits délicats, mais a dans le même temps les limites de ses qualités : critique vis-à-vis du phénomène colonial israélien, elle est comprend les ressorts, les soutiens, mais reste une dénonciation du défaut plus que proposition. Par ailleurs, Tony Judt, alors même que son texte est marqué par l’émotion, a une vision peut-être trop "réaliste" des relations internationales, considérant les Etats comme des "monstres froids", guidés essentiellement par des logiques d’intérêt, et une balance coûts-bénéfices, s’attachant à ce que les Etats-Unis ne soient pas pris, au sens propre, dans un marché de dupes. A l’heure où Henry Kissinger, porte-parole de cette approche, fait une nouvelle fois son retour sur le devant de la scène dans la pensée stratégique américaine, cette contribution ne manquera pas de relancer le débat sur les conditions nécessaires à un processus de paix. Toutefois, si riche qu’elle soit, il convient de ne pas en négliger les limites, le président Carter, infatigable promoteur d’une solution négociée et critique sévère des politiques israéliennes ayant récemment reconnu ne pas imaginer qu’Israël abandonne le Goush Etzion   .
    Point épidermique de la question proche-orientale, la question des colonies israéliennes ne peut se résoudre en un article brillant, passionné, ou parfois provocateur. Mais il est essentiel que le débat demeure.

* Tony Judt, "Fictions on the Ground", New York Times, 22.06.2009