Une trilogie dessinée profondément marquante qui relate l’un des voyages du photographe Didier Lefèvre en Afghanistan.

En 1979, l’armée soviétique envahit l’Afghanistan et s’engage dans une guerre de plus de vingt ans. Dès 1982,  Médecins Sans Frontières (M.S.F.) coordonne des missions d’aide humanitaire et cela de façon clandestine. Ils n’hésiteront pas à affronter de nombreux dangers pour venir en aide aux victimes de la guerre et habitants du nord du pays, alors complètement coupés du monde.

En 1986, Didier Lefèvre, reporter photographe de profession, rejoint M.S.F. pour témoigner de leur aventure.

Le photographe est l’adaptation en bande dessinée de ce voyage. Le dessin est assuré par Emmanuel Guibert et la mise en planche par Frédéric Lemercier qui réutilisent dans leurs albums le récit et les photographies de Didier Lefèvre. Le photographe est donc une bande dessinée inhabituelle : une sorte de reportage autobiographique qui mélangerait dessins et photographies pour toucher au plus près le public. Cette façon tout à fait inédite de travailler apporte authenticité et richesse au documentaire des trois auteurs. 

Le premier tome s’intéresse surtout au départ de Didier de la France pour le Pakistan. Première escale, premières découvertes, premier contact avec le groupe de M.S.F. Les préparatifs pour la mission battent leur plein, achats des chevaux, empaquetages des médicaments, itinéraire. Le cortège d’ânes, de chevaux, d’humanitaires et d’hommes armés devra franchir de nombreux cols pour rejoindre les "hôpitaux de fortune" en Afghanistan, tout en évitant les Russes. Le texte se veut explicatif. Les clichés présentent les protagonistes et le dessin assure la mise en récit et présente la cohérence de la démarche de Didier Lefèvre.

Le deuxième tome voit les médecins français reçus dans les villages afghans. Cette deuxième partie s’attache surtout à leurs conditions de travail et à leur dévouement. Elle montre leur courage face aux blessés graves de la guerre et les photos redonnent alors un côté réaliste à ce que le dessin ne saurait exprimer.

Mais le troisième tome est celui du retour et de la désillusion. Didier Lefèvre décide de quitter le groupe de M.S.F. en Afghanistan afin de rentrer plus vite au Pakistan. La barrière de la langue, l’approche de l’hiver, les arnaqueurs et ses problèmes de santé deviennent trop durs à supporter. Livré à lui-même et frôlant la mort, il devra redoubler d’effort pour atteindre la frontière.

Tant par leur aspect formel que par leur fond et le témoignage qu’ils véhiculent, ces trois albums ont de quoi marquer les esprits, et ils ont d’ailleurs tous trois été primés en festival.

On peut être facilement surpris par la conception originale mêlant les dessins très décontractés d’Emmanuel Guibert et les photographies très journalistiques de Didier Lefèvre. Il est d’ailleurs dommage que beaucoup de planches-contact soient trop petites ou trop abîmées pour qu’on puisse vraiment profiter des clichés. Mais la simplicité des dessins met très justement en valeur les photos de Didier Lefèvre. Leurs couleurs terres, sombres mettent parfaitement en avant le noir et blanc de ses photographies et les planches-contact donnent l’impression d’un film en soulignant l’aspect "reportage" de leur voyage.

On peut également souligner la présence d’un brin d’humour et de légèreté, permettant une respiration et un recul face à la violence de leur situation.

Au final, ce mélange étonnant entre des images dures et des dessins plus souples permet de bien saisir le paradoxe compliqué qui constitue le quotidien de toute aventure humanitaire : comment savoir réagir face à l’horreur tout en restant à sa place.