François Truffaut disait dès 1972 que, le cinéma étant le dernier art populaire, il n’était pas impossible qu’à l’avenir son boulanger vienne présenter la chronique à sa place, puisque chacun se sentait autorisé à discuter des films. Il citait même à cet égard un slogan qu’il prétendait être courant à Hollywood : "tout le monde a deux métiers, le sien et critique de cinéma". Le journaliste du New York Times, Michael Cieply, dans l’édition du 12 juin 2009, réinterroge l’actualité de cet aphorisme, qui trouve un écho et une puissance renouvelée à l’heure de l’internet et des sites participatifs. Si la critique repose par définition sur l’alliance de la subjectivité et de l’expertise, en un mot le goût, de l’individu qui la produit,  la profession n’a jamais négligé les problèmes impliqués par cette posture si particulière, et soumise pour le lecteur-spectateur à tant de variables. Ainsi, du fameux "Conseil des 10" instauré (et récemment rétabli) dans les colonnes des Cahiers du cinéma à la page centrale de synthèse dans l’Officiel des spectacles, les publications spécialisées cherchent constamment à pondérer la variabilité qui accompagne la subjectivité du jugement de goût par des tableaux synoptiques, qui permettent d’établir des moyennes et de se faire par là un avis le plus objectif possible.

Cependant, depuis dix ans, dans un pays comme les Etats-Unis dont l’industrie cinématographique a longtemps été une pionnière mondiale en matière de marketing de ses films et de connaissance poussée des segments qui composent son public, la diffusion et la pratique massive de l’internet a également donné une dimension inédite à la critique. L’article rappelle que nombre de sites (www.rottentomatoes.com, www.metacritic.com, http://movies.yahoo.com pour les plus connus) permettent de compiler l’ensemble des critiques parues sur un film pour faire émerger une note globale qui guiderait le spectateur dans ses choix. Le dernier né de ces sites, https://moviereviewintelligence.com/index.aspx, porte le phénomène à un degré de précision encore jamais atteint puisque qu’il donne des chiffres concernant les délais de sortie d’une critique sur un film ou la productivité moyenne de tel ou tel journaliste. Le site englobe 65 publications différentes et permet pour presque la première fois d’accéder à ce graal de la profession, à savoir l’impact réel de la critique sur les entrées en salle. Une étude commanditée par le site fait apparaître que près de 71 millions de spectateurs américains (soit un bon quart de la population) suivent les critiques de films, et que 50% de ceux qui vont au cinéma au moins douze fois par an les lisent plusieurs fois par mois. De fait, la critique n’est pas morte, et pourtant les journaux continuent de licencier semaine après semaine leurs journalistes de cinéma.

Le problème alors se déplace sur un autre terrain, puisque à notre époque plus que jamais, tout le monde est virtuellement un critique, par la vertu des forums et des évaluations, comme ceux disponibles sur la base de données participative www.imdb.com, pour ne citer que la plus connue. À ce titre, M. Scott, rédacteur en chef de la rubrique cinéma du New York Times relève le paradoxe suivant : si d’un côté le Net a régénéré la critique comme activité, de l’autre il l’a sapée en tant que profession établie. Bien plus, une certaine pression pèse parfois sur les critiques professionnels de la part des fans lorsque les premiers sont les seuls à exprimer un avis en contradiction avec le consensus général en cours chez les seconds, lesquels poussent exagérément la notation de leurs films préférés. On est loin des classements objectifs que pouvaient faire espérer les nouveaux outils mis à la disposition de tous, car la subjectivité n’y est pas annulée, mais presque renforcée, par un effet communautaire. Nous savions grâce à Jonathan Rosenbaum comment Hollywood et les média conspiraient pour limiter les films que nous voyons ; nous savons maintenant comment s’y prennent les apprentis-critiques. En somme, à l’ère du web 2.0, la wiki-critique tuera-t-elle une fois de plus la critique, déjà bien ébranlée de toutes parts ?