Pour consolider ce qu'on appelle, faute de mieux, la "culture homosexuelle", Didier Roth-Bettoni et Anne Delabre nous offrent un voyage encyclopédique au coeur du cinéma français, mais ce panorama illustré, malheureusement, fait peu avancer la réflexion sur le désir homosexuel.

Contrairement aux États-Unis où la censure obligeait les cinéastes à n'évoquer l'homosexualité qu'avec prudence, le cinéma français a représenté dès ses débuts des gays et des lesbiennes. Souvenez-vous des films de Jean Cocteau (notamment Le Sang d'un poète en 1930), du couple formé par Edwige Feuillère et Simone Simon dans Olivia (1950) ou de l'amitié passionnelle entre Jean Gabin et son meilleur ami dans Gueule d'amour (1937). Dans les années 70, des films comme La Cage aux folles - avec la performance exubérante de Michel Serrault en Zaza Napoli- ou La Meilleure façon de marcher de Claude Miller, montrent au-delà de la farce, une réflexion sur la condition homosexuelle, tout comme de grandes comédies récentes comme Pédale douce ou Gazon maudit, sans oublier la série télé Clara Sheller. Mais l'histoire de la représentation homosexuelle au cinéma et à la télévision n'est pas un long fleuve tranquille, loin de là, entre censure (Les Amitiés particulières, La Religieuse), caricatures et provocations. Illustré de photos de films et ponctué d'entretiens avec des acteurs, réalisateurs et producteurs, cet ouvrage où se côtoient des grands classiques, des comédies de série B, des succès populaires et des films d'auteur retrace une histoire moins taboue et plus chaotique qu'on ne l'imagine.

Le cortège des dictionnaires et encyclopédies consacrés à l’homosexualité qui, en réalité, s’emparent du thème sans l’expliciter, continue de se développer… Sans surprise, Le Cinéma français et l’Homosexualité d’Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni, qui vient de sortir aux éditions Danger, perpétue le traditionnel verbiage peu étayé autour de la "culture homosexuelle".

Les quelques rares "cinévores" de l’homosexualité seront cependant ravis. Voilà un livre utile, très bien documenté, qui suit sensiblement la même trame que le dernier livre de Didier Roth-Bettoni paru deux ans auparavant, L’Homosexualité au Cinéma (2007). C’est une approche chronologique avant tout, allant de la stigmatisation de l’homosexualité dans le cinéma français au début du XXe siècle à une normalisation contemporaine présentée comme salutaire. Les auteurs applaudissent à l’uniformisation progressive des personnes homosexuelles dans le paysage audiovisuel français, et à leur entrée dans les rangs de la "normalité". Ils présentent la visibilité des "gays banals" (p. 282) et "cette normalisation de l’image des homosexuelles" comme une avancée souhaitable vers une société du "droit à l’indifférence" où tous les hommes seraient égaux… Une belle défense conformiste et individualiste de la "démocratie de l’indifférence mutuelle". D’autre part, on lit en arrière-fond une approche plus moralisante et moins scientifique qu’il n’y paraît, puisqu’on trouve exprimées dans cet essai les notions – pourtant très subjectives – de "retard" et de "progrès" (p. 67 ; p. 85 ; p. 227), de "bons" et de "mauvais clichés de l’homosexualité", ainsi qu’un discours artistique vaporeux particulièrement queerisant. La parole queer se veut moderne, à la pointe du "progrès", mais il n’est en fait qu’un discours deleuzien ou foucauldien soixante-huitard retravaillé : on retrouve le lexique ésotérico-politisé de Deleuze et Guattari avec l’éloge, par exemple, du "devenir", du "déplacement", de la "mobilité", de l’"anti-identité transcendante", de "l’intensité" : "en devenir" (p. 227) ; "transcende" (p. 238) ; "ce glissement" (p. 238) ; "puissant" (p. 241). Afin de cacher sa haine des corps réels et du sexe, l’idéologie queer impose en général trois chansons : d’une part la chanson anti-identitaire, celle qui remplace le mot "sexe" par celui, beaucoup plus flou et fluctuant, de "genre", ou bien la notion d’"identité naturelle" par celle d’"identités culturelles" ; d’autre part, la chanson de la révolution mystique, où l’intensité des désirs amoureux l’emporte victorieusement sur les réalités (sexuées, biologiques, sociales, politiques…) qui nous entourent ; et enfin la chanson de l’éclatement obligatoire, visant à masquer une phobie de l’universalisme et du dogmatisme par un autre dogmatisme tout aussi rigide, celui du doute absolu et de l’anti-vérité unique.


On retrouve exactement ce discours queer sous la plume de Didier Roth-Bettoni et Anne Delabre. Premièrement, il y a l’opposition à tout processus d’identification unifiante. L’écriture queerisante, déshomosexualisante et anti-identitaire, cherche à court-circuiter toute rationalisation et reconnaissance du désir homosexuel ("Patrice Chéreau et André Téchiné sont tout sauf des cinéastes gays.", p. 226 ; "Homos, hétéros, bis… Les camps ne sont pas retranchés (…), et c’est cela l’intéressant. ", p. 22 ; on chante "ce cinéma underground, politique, foutraque, insolent et fécond, où se mêlent toutes les sexualités, toutes les identités et tous les genres.", p. 223). Ensuite, il y a la louange de la transgression pour la transgression (mot répété par exemple p. 74 ; p. 214 ; p. 222 ; p. 227 ; p. 232 ; p. 235 trois fois). Et en troisième lieu, il y a la défense d’une pluralité cosmique, désincarnée, éclatée et éclatante. On nous parle du "cadre très élastique du cinéma gay." (p. 226), d’un espace du "mouvement" : "Chez Patrice Chéreau, la baise homo est multiple, complexe, troublante, insaisissable, comme les nombreux personnages toujours en mouvement de Ceux qui m’aiment prendront le train. " (p. 227) ; "le champ se révèle large." (p. 243) ; "ce spectre très large" (p. 232) ; "Le cinéma gay est cet ensemble flou.", p. 213 ; "on est là face à une matière mouvante, en évolution constante, chaque époque générant ses propres formes de cinéma gay." (p. 214). Le lecteur assiste, en clair, à l’expression d’une jouissance de la confusion. Un film n’aurait de valeur que parce qu’il n’interroge pas, uniquement parce qu’il montre l’homosexualité sans rien défendre, sans didactisme ou dialectique, et qu’il ouvre à une multiplicité d’interprétations… qui sont en réalité des preuves que la vérité unique n’existerait pas, que les réponses ne sont pas à chercher. Une démission de la recherche de vérité, en somme : "Cette réflexion sur l’identité, sur le chemin que chacun fait pour être soi, transcende les questions de l’homosexualité ou de la transsexualité, présentées comme autant de non-sujets : les différences des personnages de ce film sont en effet montrées comme allant de soi, jamais justifiées ou remises en cause." (p. 232) Est célébré "ce détachement vis-à-vis de ce qui a longtemps constitué le mode de traitement de l’homosexualité dans le cinéma français, même le plus bienveillant – un questionnement, un regard ethnologique, une différence, etc. –" (p. 232). Paradoxalement, plus le discours s’emballe dans les hautes sphères de l’ésotérisme queer, plus il se "scientifise" et cherche à se naturaliser. "L’homosexualité est une composante naturelle et centrale de leur univers" (p. 236). On voit là une défense sous-jacente d’une naturalisation de l’homosexualité (l’adjectif "naturel" est à ce propos maintes fois répété dans le texte), naturalisation qui n’est dans les faits qu’une bisexualisation homophobe, puisqu’on cherche en même temps à essentialiser le désir homosexuel en la personne des homosexuels, et en même temps à se fondre dans la masse, dans le sens d’une victoire du "droit à l’indifférence", sans réfléchir aux spécificités du désir homosexuel.

Bref, Le Cinéma français et l’Homosexualité est une bonne encyclopédie… et malheureusement, pas vraiment autre chose. Le lecteur attendra longtemps que le propos décolle… mais en vain. Pourtant, il y a des lueurs d’espoir. Quelques nouveautés : par exemple des amorces d’analyse symbolique (surtout de la part d’Anne Delabre), l’usage d’un langage presque parlé parfois (qui assouplit le contenu et rend la lecture moins aride), des témoignages d’acteurs ou de réalisateurs qui nous font entrer dans les coulisses des films, etc., …mais tout cela ne suffit pas à donner du sens, du contenu.

Presque systématiquement chez Didier Roth-Bettoni et Anne Delabre, on se place du côté du regard – d’acceptation, de rejet, d’indifférence… – sur les images de l’homosexualité ; et non du côté des images elles-mêmes, ni même de la réflexion personnelle sur ces images ; les avis et les goûts exprimés n’étant pas en soi une réflexion, mais des idées qui se discutent peu (Il eût été d’ailleurs intéressant de compter combien de fois le mot "regard" est utilisé dans tout le livre…). C’est dommage, car en se focalisant sur les effets plus que sur les causes (Je vous renvoie aux très nombreuses occurrences qui insistent sur les effets, les impressions, les réactions, plus que sur les faits et leurs images : "le cinéma peut créer des affects complètement imprévus", p. 131 ; "fait scandale", p. 10 ; "faire rire" p. 45 ; "ne provoquent le rire." p. 66 ; "Ça fait pédé…" p. 69 ; "le travestissement et la prostitution prêtent avant tout à sourire" p. 85 ; "provoqué l’émoi lors de sa sortie" p. 154 ; "provoque une levée de boucliers" p. 154 ; "provoquant des réactions en chaîne" p. 157 ; "ayant fait grincer des dents" p. 157 ; "a été mal reçu" p. 253), en sur-valorisant un "qu’en dira-t-on" plus que les images de l’homosexualité en elles-mêmes, on aboutit à la projection de fantasmes, à la tiédeur intellectuelle, à l’euphorie queer non-argumentée, ou au contraire à la diabolisation des clichés jugés "mauvais". On moralise ce regard d’autrui pour ne pas l’expliquer ("Zidi offre une vision affligeante de l’homosexualité", p. 82). On attribue au(x) regard(s) "des autres" une importance démesurée parce qu’au fond, on n’ose pas affirmer et risquer son propre regard ni une pensée plus universelle. Histoire cinématographique française des Regards sur l’homosexualité : c’est comme cela que le livre aurait mérité de s’intituler. À mon sens, cet essai manque de courage intellectuel. Il ne va pas au bout des choses, n’assume pas de défendre des idées. Il n’y prétend même pas…


On assiste pourtant à un début de réflexion sur le sens de ces films français, sur celui de l’homosexualité, ainsi qu’à un regroupement symbolique de certains leitmotivs homosexuels (exemple : les films à thématique homosexuelle où est exprimé une attirance pour le Maghrébin, p. 23 ; ou bien les films du travestissement, p. 75 ; ou bien les films de la relation homosexuelle entre un serviteur et son maître, aux pages 168-169 ; ou bien les films homosexuels dans les prisons, p. 189)… mais ces liens ne sont pas étayés, loin de là ! Les auteurs se sont contentés d’étaler les exemples sans donner de légende interprétative. Les rares fois où il y a un semblant d’analyse symbolique (Anne Delabre nous parle par exemple de la piscine comme "une métaphore du désir féminin", p. 28 : c’est loin d’être bête), celle-ci n’est pas menée jusqu’au bout puisqu’on n’arrive à aucune tentative de définition du désir homosexuel. Dire que "la piscine est un classique dans le cinéma français" traitant de l’homosexualité, cela n’explique rien. Il ne suffit pas de dire "c’est hautement symbolique" (p. 95) ou "cela revient souvent" ("le sauna (lieu homoérotique par excellence)", p. 127 ; "une scène de bal costumé – un grand classique –", p. 188 ; etc.) pour donner du sens à ce qu’on relève de manière finalement très scolaire.

Pourtant, Anne Delabre commençait à tenir une ficelle intéressante, celle des "codes" homosexuels (p. 28). Mais la plupart du temps, elle la lâche bien vite, car plutôt que de considérer la portée symbolique et désirante de ces codes, elle les souligne brièvement (en disant qu’on les voit fréquemment) pour mieux les ignorer (elle dira de manière très queer "pour mieux les subvertir", p. 28, mais au final, cela revient au même : vouloir dépasser le cliché, c’est le mettre de côté par crainte de la petite part de réel qu’il peut nous apprendre…). Pourquoi cette frilosité intellectuelle, cette peur en partie infondée de la généralisation ? Avec Anne Delabre, on assiste à un début de sortie du tunnel queer… mais c’est encore beaucoup trop timide.

On retrouve d’ailleurs dans tout le livre l’idée selon laquelle les clichés de l’homosexualité ne seraient pas à écouter parce qu’ils seraient "négatifs". Très souvent dans le discours de Delabre et Roth-Bettoni, il s’agit de les "déconstruire" pour mieux les "transcender", les "dépasser", les "subvertir", jouer avec eux et les retourner contre les supposés agresseurs des personnes homosexuelles ("transcender ces mêmes stéréotypes" p. 53 ; "en allant au-delà du stéréotype" p. 70 ; "s’inventer un modèle bien à part" p. 181 ; "bousculer les codes" p. 238). Dans la rhétorique queerisante, on nous parle toujours de "dépasser le cliché" mais pas dans une optique constructive, c’est-à-dire pour lui donner du sens. Au contraire, on cherche à le détruire, à l’étouffer du simple fait d’être "cliché". Dire "c’est cliché" revient ici à énoncer deux choses : "c’est mal et ça n’existe pas".En réalité, les auteurs nous imposent une moralisation manichéenne des images de l’homosexualité. Voici quelques extraits montrant la haine des clichés de l’homosexualité : "Entre le pauvre malade et le méchant pervers, le tableau est complet des lieux communs sur la question de l’homosexualité." (p. 119) ; "Les deux films de Gabriel Aghion ne font que prolonger les stéréotypes bien établis…" (p. 56) ; "Pour autant, Le Placard n’échappe pas aux clichés qu’il dénonce" (p. 67) ; "Il est ainsi sidérant de voir à quel point ce film se coule dans tous les poncifs du genre." (p. 74) ; "stéréotypes habituels" (p. 83) ; "l’image complètement stéréotypée" (p. 90) ; "Opposition prolo révolté/bourgeois installé (…) : une position très tranchée, voire manichéenne." (p. 141) ; "les vieux stéréotypes" (p. 271). Dans l’essai, on peut lire entre les lignes beaucoup de signes d’énervement face aux clichés "négatifs" : "l’assassin, doté d’une mère castratrice évidemment" (p. 140) ; "Pas moyen semble-t-il d’échapper à un modèle hétérocentrée ?" (p. 181) ; "une lesbienne perverse, comme de bien entendu" (p. 190) ; "Décidément la sexualité lesbienne se résume à pas grand-chose aux yeux des hétéros" (p. 201) ; "bien sûr !" (p. 201) ; "(tiens donc)" (p. 201) ; "Là encore" (p. 201).On assiste à un agacement mal contenu face aux "clichés homos", malheureusement au détriment de l’interprétation argumentée de ces derniers ("L’association homos/efféminés reste encore et toujours très prégnante dans l’esprit de nombreuses personnes.", p. 46 ; "Ces clichés sont tellement forts et vivaces", p. 47). À l’inverse, tous les réalisateurs, qui selon les auteurs lutteraient contre ces "mauvais clichés", sont élevés en héros ("La modernité absolue de Chéreau, c’est de refuser tous les stéréotypes." p. 227 ; "Ce qui est intéressant et très fort dans la représentation de Dora, c’est qu’elle ne ressemble en rien à une de ces caricatures de lesbienne qui hantent si souvent l’écran", p. 128 ; "Il échappe à toutes les images préfabriquées", p. 64 ; "On est à des années-lumière des représentations traditionnelles des pédés et des goudous.", p. 62 ; "Le cinéma gay est cet ensemble flou, à l’intérieur duquel des cinéastes homosexuels ont pris en charge à un moment donné les images de l’homosexualité pour lutter contre les stéréotypes trop longtemps véhiculés par le cinéma grand public.", p. 213). La destruction des images, le changement, l’originalité, et la rupture avec la tradition, deviennent à leurs yeux des valeurs en soi.


Au fond, ce qui est gênant, c’est que ce livre ressemble à un règlement de comptes peu construit ; pas à une étude sérieuse et dépassionnée des images dont il prétend pourtant faire l’inventaire objectif. Le cliché homo n’est pas aimé par Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni. Ils le boudent et le critiquent sévèrement. Ils le retournent, comme on retourne par phobie une carte qu’on ne veut pas voir, en faisant passer l’inversion pour une révolution audacieuse ("les clichés n’en sont plus car ils sont assumés avec verve et retournés comme autant de boomerangs à la figure de leurs envoyeurs" p. 81). Le but de Didier Roth-Bettoni et d’Anne Delabre est de montrer que le pari d’un film homo réussi, c’est forcément d’échapper aux stéréotypes homosexuels (paradoxal pour des essayistes qui s’attachent à en dresser le panorama…) Ce livre est iconoclaste, malgré les apparences. Il souhaite la mort des images, même si cette mort se doit de ne pas être complète afin de justifier une victimisation homosexuelle : "Le cliché s’épuise, même s’il n’est pas mort.", p. 283).

Du coup, trop occupés par leur sacro-saint "relativisme universitaire" bon ton, les auteurs nous offrent de temps en temps certains dérapages idéologiques qui ne manqueront pas de choquer ou de faire sourire. Au détour de certaines pages, on peut lire par exemple ce genre de propos aberrants : "En France comme ailleurs, les homos souffrent. (…) Les homosexuels sont des victimes en puissance, comme toutes les minorités." (p. 93) ; alors que ces mêmes essayistes condamnent par ailleurs tout misérabilisme ou images victimisantes de l’homosexualité. Ou bien encore on tombe sur des reprises de questions homophobes dont on ne sait pas trop si elles viennent de l’extérieur ou si elles expriment un avis personnel voilé… ("La dictature de l’apparence (…), inévitable chez les pédés ?", p. 97). Par ailleurs, les essayistes en sont à regretter le "retard" des pornos lesbiens par rapport à la prolifique production de pornos gays ("Mais à ce jour avec un seul porno lesbien (et queer) recensé dans l’Hexagone, les petites Françaises sont décidément bien sages.", p. 204). Insensé…Plus tard, Lionel Soukaz est présenté comme un révolutionnaire uniquement parce que ses films pornographiques ont été censurés : "Comme Philippe Vallois, obligé de retirer des images de sexes en érection de Johan, Lionel Soukaz subit les foudres de la censure pour Race d’ep (…), ce film extrêmement militant" (pp. 224-225). Non moins insensé… (est-ce que la censure est en soi un label qualité ?) On peut trouver aussi des analyses discutables comme celle de la scène du miroir des Roseaux sauvages de Téchiné (où François se répète à lui-même "Je suis pédé, je suis pédé, je suis pédé"), montrée comme un exemple d’"aveu libérateur" (p. 229), alors qu’elle est bien autre chose qu’une scène de libération (elle est plutôt le signe d’un enfermement angoissant et mécanique d’un jeune adolescent qui sent qu’il se caricature inconsciemment lui-même…) D’autre part, le lecteur tombe parfois sur des phrases au sexisme féministe puéril qui frise les pâquerettes : "On remarquera tout de même en passant que ces trois films particulièrement attentifs et novateurs sont réalisés par des femmes… On en tirera les conclusions que l’on veut…" (p. 287). L’analyse se limitera à ce constat, elle n’ira pas au-delà.

Lorsqu’on n’a rien à dire d’un film qu’on rêve "géniâââl" (mais dont on a du mal à exprimer pourquoi), que dit-on d’habitude ? Qu’il est "différent", "complexe", "coloré", "frais", "inventif", "intéressant", "fort", "percutant", "transgressif", et, le must : "lumineux". Didier Roth Bettoni et Anne Delabre n’ont pas dérogé à la règle, puisqu’ils nous servent ces mêmes critiques évasives sur un plateau : "Drôle, cruel et impertinent, Sitcom est un film assez radical sous ses airs de comédie colorée." (p. 232) ; "jeunes créateurs inventifs" (p. 241) ; "original et exigeant" (p. 236) ; "Ce qui est intéressant et très fort" (p. 128) ; "regard respectueux et fort" (p. 89) ; "c’est intéressant" (p. 22). On se retrouve avec des analyses plates, qui n’engagent pas à une vraie réflexion… d’où l’effet catalogue. Désolé, mais chez moi, cela provoque l’ennui.


Je vais peut-être paraître sévère si je dis que le livre Le Cinéma français et l’homosexualité se réduit à un catalogue de résumés personnalisés de films. Pourtant, je ne pense pas me tromper. Si vous êtes venus chercher des choses plus universelles, plus accessibles pour ceux qui n’auraient pas vu les films dont il est question, des éclairages pour mieux appréhender le désir homosexuel et vivre avec lui, tant pis pour vous, vous n’avez pas frappé à la bonne porte… Je regrette que les auteurs se concentrent sur "l’image des homosexuels" (pour mieux la détruire/"déconstruire") et non sur les personnes homosexuelles et leur désir homosexuel. Encore une fois, on est bien en-dessous de ce que l’analyse de ces mêmes films pourrait apporter… et pourtant ce livre va bien se vendre (tant mieux pour Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni), et en appellera d’autres, du même type…