Une description du système financier globalisé, qui, sans expliquer la crise, établit des faits utiles à la réflexion.
Parmi les nombreux livres qui sont parus sur la crise ces six derniers mois, ce “Repères”, écrit par deux économistes de banque, s’attache plus spécifiquement à montrer le lien qui existe entre la prise de risque excessive d’une part, et les déséquilibres financiers internationaux d’autre part. Le premier élément a été favorisé par la déréglementation et l’innovation financière, tandis que le second est apparu avec les excédents commerciaux des économies émergentes. La crise actuelle est alors lue non pas seulement comme la crise de la finance dérégulée, mais aussi comme la crise de la finance globalisée, qui donne son titre au livre. Les mesures à prendre pour éviter que celle-ci ne se reproduise devraient donc inclure, expliquent les auteurs, à côté de mesures pour réglementer la finance, des mesures destinées à renforcer et à rééquilibrer le système financier international.
Le livre s’ouvre sur la description des dispositifs, tels que la titrisation des prêts, leur structuration en tranches et le recours aux dérivés de crédit, qui, au cours des quinze dernières années, ont autorisé la mise en place de “chaînes de prises de risque de plus en plus complexes”, qui sont venues se substituer, pour une bonne part, à l’intermédiation bancaire traditionnelle et aux opérations simples sur les marchés boursier et obligataire. Ce sont eux qui ont permis aux banques d’investissement, aux hedge funds et aux véhicules hors bilan de constituer un “système bancaire alternatif” (“shadow banking system”), qui a largement échappé à la régulation.
Absorber l’épargne du Sud
Avec la libéralisation des mouvements de capitaux, l’extension des chaînes de prises de risque a également été mise au service des transferts internationaux. Ces transferts ont concerné des risques dans un premier temps, puis l’épargne, avec l’augmentation des déséquilibres courants. À partir de la fin des années 1990, l’adoption par les pays émergents, la Chine en tête (mais à l’exception notable des pays d’Europe centrale et orientale), de politiques de croissance tirées par la demande extérieure et favorisées par la fixation de taux de change sous-évalués a amené d’importants transferts internationaux d’épargne. À partir de 2004, la hausse du prix du pétrole, liée à l’accélération de la croissance des pays émergents, a également contribué à renforcer ce besoin pour recycler les excédents des pays exportateurs.
Les réserves de ces pays, qui sont la contrepartie de leur épargne domestique privée ou publique, sont investies, pour la plus grande part, en titres liquides et sans risque, expliquent Brender et Pisani (qui nuancent cependant ce constat en prenant en compte l’avènement récent des fonds souverains, dont la mission était de prendre des positions plus risquées). Pour que cela soit possible, il a fallu non seulement que les pays développés importent de l’épargne, mais également qu’ils prennent les risques que les régions émergentes ne voulaient pas prendre. Et que joue en quelque sorte une double complémentarité, tout d’abord entre des systèmes de régulation macroéconomique : “Lorsque la Chine, confrontée à la progression très rapide de son potentiel de production, freine l’appréciation de sa monnaie pour éviter la choc déflationniste qui résulterait sinon de l’inertie de ses comportements de dépense, elle “exporte” son problème de régulation vers le reste du monde. Ce dernier peut, de fait, l’“importer” parce qu’il est capable, par un surcroît d’endettement, de faire face à un éventuel déficit de sa demande.” . Mais également en ce qui concerne la prise de risque (de taux, de crédit ou encore de liquidité). Le gonflement d’une épargne à la recherche de placements sans risque s’est alors traduit par une augmentation du “levier” du système financier global, avec, au passage, un accroissement de sa fragilité .
Prendre les risques
Plusieurs facteurs ont convaincu les preneurs de risque des pays développés de se comporter ainsi. Tout d’abord une augmentation du rendement des placements à risque suite à la baisse des taux directeurs des grandes banques centrales au début des années 2000 . Puis, à partir de 2004, lorsque la hausse des taux a réduit la rémunération du risque, l’accroissement de leur appétit pour le risque, dans une phase d’amélioration de la situation économique. Ce qui a permis d’absorber la forte augmentation des excédents des pays exportateurs de pétrole.
Dans les faits, cette prise de risque a été concentrée entre les mains des acteurs du système bancaire alternatif évoqué ci-dessus. Et elle n’est pas non plus indépendante du relâchement des contrôles (concernant les véhicules hors bilan ou les agences de notation par exemple) qu’a connu cette période. Des relâchements, qui ont contribué à une mauvaise perception du risque. “Tout au long des années 2000, le levier du système financier occidentale n’a cessé de s’accroître. Cette hausse a permis de “transformer” quelques 5 000 milliards de dollars d’épargne émergente, placée largement sans risque, en prêts, par nature risqués, à des ménages et des entreprises occidentaux. Ainsi se sont mises en place les conditions d’une crise financière originale : que soudain le levier du système baisse sensiblement [que l’attitude générale face au risque devienne soudain plus prudente] et une masse considérable de risque devra en être expulsée… ” .
On peut passer plus vite sur le chapitre suivant qui montre comment “la réévaluation du risque d’une catégorie particulière de prêts aux ménages américains – les prêts subprime – a conduit à une montée générale et continue de la défiance à l’égard des agents et des produits financiers” car ici l’exposé est proche de ce que l’on a pu lire ailleurs . Dans un premier temps les autorités vont se contenter de fournir la liquidité au système. Devant l’aggravation de la situation, elles vont finalement réviser leur stratégie – mais trop tard selon les auteurs, qui se livrent à une critique plutôt sévère de l’action de la Réserve fédérale face à la crise – et commencer d’aider le système à porter les risques dont il est chargé .
Et maintenant ?
Le dernier chapitre tire les conclusions de la crise pour la globalisation financière. Si l’on veut éviter que de telles crises se reproduisent, alors l’intervention des États est indispensable à trois niveaux, expliquent Brender et Pisani. Au niveau microéconomique, l’autorité publique doit définir une norme à respecter pour les prêts susceptibles d’être titrisés, et elle doit également contrôler les agences de notation . Elle doit veiller à compenser le caractère procyclique du comportement des agents financiers en établissant des règles de provisionnement dynamique par exemple . Au besoin, elle doit également être prête à intervenir sur les prix des actifs si les prix de marchés deviennent excessifs. Cela, par des mises en garde, puis, si cela ne suffit pas, par des mesures fiscales, voire en vendant des produits dérivés .
L’espace financier globalisé doit également pouvoir “être soumis à des régulations et des normes prudentielles homogènes, homologuées et contrôlées internationalement” . Cela concerne en premier lieu les centres offshore et les marchés de gré à gré. Mais “la stabilité de l’espace financier globalisé n’est pas seulement affaire de prudence et de solidité ; elle dépend aussi de l’architecture du système”, soit de la “répartition et du débit des canaux de distribution des prêts” en son sein. Ce qui peut nécessiter, expliquent les auteurs, de mettre en place des chaînes de prise de risque là où elles font défaut, pour permettre de mieux allouer l’épargne mondiale. Pour cela “à côté de preneurs de risque privés mieux surveillés, l’intervention de preneurs de risques publics est indispensable.” . On peut regretter qu’ils n’aient pas davantage développé ce point, alors que c’est celui auquel leur démonstration conduit.
Enfin, la surveillance macroéconomique doit permettre de réduire les excédents internationaux d’épargne. “En desserrant la contrainte de l’équilibre courant, la globalisation ouvre à toutes les économies de la planète des marges de croissance supplémentaires. Elles ne pourront toutefois les conserver si les plus grandes d’entre elles, au moins, ne sont pas prêtes à coopérer ; il leur appartient d’ajuster leurs politiques économiques pour prévenir les chocs et atténuer les pressions qui, sinon, mettront régulièrement à mal le système financier globalisé.” . Cela vaut également pour le prix du pétrole, prennent le soin d’indiquer les auteurs.
On peut en venir maintenant à quelques remarques. En premier lieu, le lecteur pourra se demander si les auteurs ne désignent pas la Chine comme le principal coupable du déclenchement de la crise, en exonèrant alors le secteur financier de ses responsabilités. À la réflexion, nous ne le pensons pas. Brender et Pisani décrivent, dans ce livre, le système de la finance globalisée et ses évolutions sans descendre au niveau des logiques des acteurs, ce qui laisse hors champ l’appréciation que l’on peut porter sur celles-ci. Un moyen de le vérifier est de leur poser la question : que serait-il advenu si la Chine avait pris une part de risques plus importante ? Réponse : les risques auraient été mieux répartis et la pression sur le système financier des États-Unis aurait été allégée d’autant. Il n’est toutefois pas dit qu’ils auraient été mieux gérés. Mais, lorsque l’on sait comment les acteurs financiers se sont comportés dans le monde entier, on se dit que ces déséquilibres globaux ne peuvent constituer, au mieux, qu’une partie de l’explication.
Par ailleurs, les auteurs laissent de côté, de manière un peu surprenante vu le sujet du livre, les questions ayant trait au système monétaire international, même s’ils plaident rapidement pour l’instauration d’un preneur de risque public s’agissant du taux de change des pays émergents (bien que l’on se demande si cela peut vraiment s’appliquer à la Chine).
Finalement, même s’il soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses, l’intérêt de ce petit livre, très pédagogique, est d’établir des connexions utiles à la réflexion. Il ne devrait pas décevoir le lecteur, pour autant que celui-ci n’en attende pas une explication complète de la crise.