À travers une étude pertinente, Saskia Sassen nous invite à repenser l'idée de "globalisation", "instrument d'une nouvelle gouvernance sociale".

Impossible, ou presque, d’évoluer dans le monde contemporain sans comprendre le terme de « globalisation ». Quelle que soit la nature du discours – politique, sociologique, économique ou culturel – la globalisation s’est imposée comme allant de soi, avec la fausse évidence des concepts omniprésents. Mais que recouvre précisément cette notion et d’où vient-elle ?

Dans La Globalisation. Une sociologie, la sociologue américaine Saskia Sassen, spécialiste des villes globales et enseignante à l’université de Columbia dissipe les idées reçues qui l’entourent, et surmonte l’obstacle épistémologique et historique majeur qui a empêché de comprendre plus tôt cette caractéristique du temps présent. Proche de l’idée de rapports internationaux en ce qu’elle consiste à établir des relations politiques, économiques, culturelles et sociales par-delà les frontières, via des institutions telles que le FMI, l’OMC ou le TPI, la globalisation a toutefois ceci de particulier qu’elle prend naissance au niveau local, infranational. Par elle s’instituent des normes et des structures qui court-circuitent les réglementations nationales et internationales en faisant valoir leur légitimité propre.

Pour dénicher le global dans le local, Saskia Sassen démontre l’obsolescence d’un principe méthodologique longtemps en vigueur dans les sciences sociales, depuis leur naissance même : la souveraineté de l’État-nation dans le domaine des institutions et des mécanismes sociaux. Née à l’époque du triomphe – mais aussi des premières crises – de l’État-nation, la sociologie des pères fondateurs comme Weber ou Durkheim tirait en effet ses conclusions de l’analyse de données objectives inscrites dans le droit, les coutumes et les institutions de régions ou de pays clairement identifiables et circonscrits. La sociologue réclame aujourd’hui le dépassement de ce nationalisme méthodologique. Tout a changé non sous l’effet de la multiplication des relations internationales, qui reposent sur des règles établies à l’issue d’accords entre les gouvernements nationaux, donc entre les États-nations, mais sous l’impulsion donnée par des mouvements locaux de tous ordres – économiques, sociaux, culturels – qui, grâce aux nouvelles technologies, s’articulent de plus en plus à des structures similaires à l’étranger sans passer par le niveau national. Tel est le cas, par exemple, des mouvements d’immigration et des transferts de fonds qu’ils génèrent, ou des relocalisations de certaines structures économiques de production détachées de leurs sièges de direction, ou encore des possibilités offertes par Internet. L’économie mais également les droits de l’homme ou l’environnement sont concernés par cette dénationalisation des États.

La globalisation produit ainsi une multitude de nouvelles normes qui naissent de la répétition et de l’ampleur d’actions locales coalescentes malgré les distances. Toute la difficulté est de les faire coexister avec les normes juridiques et politiques traditionnelles. Entre ceux qui se lamentent ou se scandalisent du déclin de l’État, cantonné au seul exercice de ses pouvoirs régaliens, et ceux qui s’en réjouissent au nom d’un laissez-faire économique et politique, Saskia Sassen ouvre une voie plus subtile en montrant que l’État, loin d’assister passivement à son propre dépeçage, acquiert un statut et un rôle nouveaux en participant à l’élaboration de ces normes nouvelles ou, plus souvent, en orientant leur développement. La globalisation serait moins synonyme de dérégulation que d’interdépendance croissante, et pourrait bien être l’instrument d’une nouvelle gouvernance sociale invitant à repenser la notion de frontière

par Étienne Helmer.

Ouvrage publié avec l'aide du Centre national du livre.