Première histoire complète des neurosciences rédigée en français par deux spécialistes du CNRS.

L’ouvrage que nous proposent François Clarac et Jean-Pierre Ternaux est exemplaire à plusieurs points de vue. Il s’agit d’une synthèse réfléchie et informée des neurosciences actuelles et de leur histoire, réalisée dans une perspective large, avec un soin attentif aux contextes, aux phases critiques d’évolution des techniques et des disciplines. Les neurosciences apparaissent comme étant issue d’une longue histoire, remontant aux premières investigations cliniques et réflexions philosophiques de l’Antiquité. Les disciplines qui constituent ce champs disciplinaire se mettent en place au cours du XXe siècle, autour de trois axes principaux adoptés comme thèmes pour les trois premiers chapitres : la connectique et l’étude des voies réflexes ("le cerveau câblé"), la neurobiologie des neurotransmetteurs ("le cerveau flou") et l’étude des fonctions du cerveau. Pour chacun de ces axes, les auteurs mentionnent les pionniers, leurs observations premières, les explorations par de nouveaux instruments, leurs nouvelles hypothèses et théories. On distingue ainsi nettement comment le cheminement des idées, les découvertes et la compréhension de nouveaux mécanismes du cerveau permettent de mieux comprendre, à chaque époque, les fonctions du cerveau, définies dans des cadres expérimentaux toujours restreints, mais rigoureux.

Ce travail a été réalisé par François Clarac, directeur de recherche émérite au CNRS et de différents laboratoires. Il pratique également depuis de nombreuses années l’histoire des neurosciences telle qu’elle se développe au sein de la Société des Neurosciences (http://www.bium.univ-paris5.fr/chn). Jean-Pierre Ternaux est directeur de recherche au CNRS, directeur adjoint à la communication du CNRS et responsable du pôle communication scientifique.

L’avant-propos de Dominique Wolton insiste sur le rôle de l’histoire des neurosciences dans l’évolution de cette discipline. Le réductionnisme moléculaire, l’approche du tout neuronal de la neurophysiologie, l’imagerie et ses dangers interprétatifs constituent une discipline multiforme et riche, qui aurait tendance à annexer tous les savoirs relatifs au cerveau, à la cognition et à l’esprit, si l’approche historique et la conscience de la richesse des sciences de la communication, et plus largement des sciences humaines, dont la récente neurophilosophie, ne constituaient des garde-fous précieux contre un possible "enfermement dogmatique".

L’histoire raisonnée des neurosciences proposée par Clarac et Terneaux est axée sur des découpages thématiques pertinents, comme le souligne Pierre Buser dans sa préface, et une périodisation qui met en valeur l’esprit des évolutions neuroscientifiques, certaines ruptures apparentes comme la "Révolution sherringtonienne". Mais cette révolution ne représente qu’une sorte de nouveau départ pour les suiveurs de Sherrington, dans une perspective qui sera aussi celle d’autres chercheurs à son époque, dans d’autres pays. Ce que réalise Sherrington est à l’opposé d’une révolution, tant il s’appuie sur une synthèse des données anciennes, dont celles de neuroanatomie, pour fonder une nouvelle physiologie du système nerveux. C’est en ce sens que la révolution de Sherrington est mise en perspective.

L’approche historique des auteurs est donc à la fois vivante et informée, tirant partie de la vie scientifique des figures présentées et décrivant minutieusement leurs apports conceptuels.
Le texte n’est en aucune manière présentiste. Les auteurs ont une compréhension intime des cadres intellectuels du passé. Cependant, les neurosciences actuelles demeurent sous-jacentes, ce qui représente un intérêt pour les ouvrages rédigés par des scientifiques qui ont une maîtrise de leur discipline et de son histoire. Les concepts et théories sont décrits dans le but de comprendre les cheminements complexes des rationalismes locaux vers les conceptions actuelles.

Cette histoire déborde donc le passé et questionne par exemple le statut des neurosciences cognitives ou encore le rôle des modèles. Une grande conclusion "Demain, les neurosciences" envisage les progrès récents des sous-disciplines neuroscientifiques et les thèmes qui seront sûrement à l’honneur ces prochaines décennies.
Une seconde partie de l’ouvrage, constituant un tiers de l’ouvrage, comporte un important glossaire, un répertoire biographique complet des auteurs, ainsi qu’un lexique anglais - français, l’index et une ligne du temps dépliante en trois volets. Ces outils sont inestimables pour ceux voulant, pour mieux la comprendre, se perdre dans la longue histoire des neurosciences et mieux appréhender ce champ scientifique.

Ce volume précieux demeurera pour toutes ces raisons, pendant très longtemps, un ouvrage de référence pour tous les amateurs éclairés des neurosciences, professionnels et simples curieux.