Documentée, cette analyse du maintien de l’ordre en France revient sur des événements récents et s’intéresse aux choix sécuritaires de Nicolas Sarkozy.

Livre touffu et riche, Maintien de l’ordre – Enquête, rédigé par le journaliste David Dufresne, retrace et analyse les évolutions les plus récentes du "maintien de l’ordre à la française", avec un travail d’enquête impressionnant (à voir également : le documentaire du même auteur diffusé sur France 2 "Quand la France s’embrase").


Le maintien de l’ordre est politique

Le maintien de l’ordre est une question centrale dans un État démocratique. La dimension technique est certes importante, et les Français en sont passés maîtres puisque le "maintien de l’ordre à la française" est considéré comme un modèle. Mais c’est surtout une affaire éminemment politique. David Dufresne retrace l’histoire de cette spécificité française dans un pays où la rue est, autant que le Parlement (sinon plus…), un espace politique.

Maintien de l’ordre – Enquête revient ainsi dans le détail sur quelques unes des manifestations les plus emblématiques de ces dernières années. Les succès, mais aussi les échecs, avec les erreurs commises par la police dans les premiers jours des émeutes de novembre 2005, et les zones d’ombres de la manifestation étudiante aux Invalides le 23 mars 2006. Dans tous les cas, David Dufresne analyse avec rigueur les faits et le regard que porte aujourd’hui sur eux ceux qui étaient alors aux responsabilités.

Le maintien de l’ordre, une affaire politique ? Le principe a été poussé jusqu’au bout avec Nicolas Sarkozy, et ce n’est pas l’aspect le moins inintéressant de l’ouvrage.


Les CRS au cœur de la politique policière de Nicolas Sarkozy

Tout le monde avait suivi l’enterrement de la police de proximité : "La police, ce n’est pas du social. Vous êtes là pour arrêter des voyous, par pour organiser des matchs de foot" (Nicolas Sarkozy en novembre 2003 à Toulouse). La doctrine qui l’a remplacée est finalisée quelques semaines avant les émeutes des banlieues de novembre 2005, avec de nouvelles idées pour le déploiement des CRS. Plus mobiles, ils sont désormais affectés à des missions de lutte contre la délinquance dans les zones sensibles. La frontière entre lutte contre la délinquance et maintien de l’ordre s’efface, les CRS investissent au quotidien les quartiers sensibles.

Avantage : c’est un renfort inespéré pour les commissariats de quartier. Inconvénient dont on constatera rapidement les effets : ces petits groupes de CRS, qui connaissent mal le quartier et sa population, contribuent à tendre les relations avec la police. C’est l’anti-ilôtage. Le bilan de cette "suractivité" mal ciblée a été tiré en Seine-Saint-Denis, comme le rappelle David Dufresne. L’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité (INHES), établissement rattaché au ministère de l’intérieur, a conclu dans une étude rendue publique en juin 2007 que cette police à l’image trop agressive contribuait elle-même au malaise installé entre les forces de l’ordre et la population. Ce rapport était achevé depuis début 2007, mais a été conservé dans les cartons jusqu’aux lendemains des élections … (un argument de plus pour la réforme de l’INHES et de l’Observatoire de la délinquance, qui y est rattaché).


Une politique très communicante

Valoriser les CRS et le maintien de l’ordre présente un immense avantage pour Nicolas Sarkozy. Le message est simple (le "kärcher", version moderne du "force doit revenir à la loi" de Raymond Marcellin) et donne lieu à de "belles images" pour les JT (Sarkozy au milieu des CRS en uniforme de maintien de l’ordre). Autant d’atouts pour une bonne communication.

"Il y a 25 ans, on agissait puis on communiquait ; à présent, tout a changé, c’est parce qu’on a communiqué et qu’on s’est fait comprendre, qu’on peut agir"   . La police de proximité, ce n’est pas médiatique. Des CRS qui investissent les banlieues pour faire nombre, c’est voyant. Ce n’est peut-être pas efficace à moyen et long terme, mais le bruit médiatique sera passé quand on s’en apercevra. Est-ce à dire que la réforme des CRS et de la doctrine du maintien de l’ordre a été dictée par les impératifs de la communication ? Il faut au moins se poser la question.

Et y a-t-il eu provocations, ou tout au moins jeu dangereux pour attiser les tensions ? Jusqu’en 1981, rappelle David Dufresne, l’action des ministres de l’intérieur a régulièrement été soupçonnée de provocations dans plusieurs grandes manifestations. Ce temps-là semblait terminé. Mais les manifestations anti-CPE de mars 2006 ont suscité beaucoup de questions, y compris dans l’entourage d’un N. Sarkozy alors en pleine rivalité avec D. de Villepin. Le débat reste ouvert.


Le maintien de l’ordre quand il n’y a plus rien d’autre

L’État n’a apporté qu’une réponse policière aux émeutes de novembre 2005. Contre toutes les analyses, y compris de ses services, Nicolas Sarkozy a nié la dimension sociale de la révolte des banlieues, qui ont été instrumentalisées pour entretenir la peur des "braves gens" dans une communication offensive et beaucoup plus guerrière que la pratique des forces de l’ordre sur le terrain. On éteint le feu, et on attise les tensions, mais on ne résout rien.

Et la gauche dans tout cela ? Dévorée par sa culpabilité, elle n’a pas su défendre la police de proximité. Elle a ensuite échoué dans la critique du ministre de l’intérieur, prise au piège de la critique de sa personnalité quand il marquait des points sur le fond. Faute de consensus sur ses valeurs et son programme, la gauche a échoué à articuler un projet et des propositions crédibles sur la police, les quartiers sensibles, etc. Le maintien de l’ordre est décidément une affaire politique.


*Sur le même thème, vous pouvez également lire la critique du livre Sortir des banlieues, par Bertrand Vallet.