Une réflexion fondamentale sur la naissance et les origines de nos croyances religieuses

Le lecteur initié aux travaux de l'anthropologue Pascal Boyer   , ou plus récemment de l'éthologiste Richard Dawkin   trouvera dans cette somme un complément inégalé d'anthropologie cognitive évolutionniste ayant pour objet principal de recherche les croyances religieuses (commensurables) et leurs origines potentielles ( universellement distribuées). Le public non anglophone y découvrira une traduction de son précédent ouvrage largement salué par les critiques   .

 

Une structure stable

 A travers les multiples disciplines abordées (biologie évolutionniste, génétique, sociobiologie, éthologie, écologie comportementale, neurologie, philosophie, psychologie cognitive, sociologie,...) Scott Atran peut nous surprendre quand il affirme que " les structures biologiques et cognitives qui permettent la vie humaine sur la Terre semblent avoir peu, ou pas du tout changé – du moins depuis " Eve mitochondriale " qui aurait vécu dans la savane africaine il y a plus de cent mille ans "   . Ce constat, sur cet état quasiment stable où le temps n'aurait eu que peu d'effet, pourrait expliquer pourquoi les structures cognitives de l'esprit semblent avoir permis à un ensemble d'objets socio-culturels, connus dans toutes les sociétés, de traverser les âges, d'être transmis et intégrés : agents surnaturels, entités spirituelles, mondes contrefactuels et contre-intuitifs, rites, sacrifices, symboles, cosmologie,... consolidant et faisant perdurer ces simples produits de " processus ordinaires de l'esprit humain "   que sont les religions.

 

Que les différentes religions donnent du sens aux individus, mobilisent l'affectivité, apportent espoir et promesses, provoquent des états de conscience modifiée (transe, méditation, vision, révélation, hallucination auditive ou visuelle, etc.), engagent le système corporel, forment des mondes magiques via ses capacités cognitives de métareprésentation, s'investissent dans le champ socio-économique, ne les distingue pas entre-elles au niveau des structures cognitives de croyance. La différence se situerait simplement au niveau des contenus, celui du rapport avec ses semblables, à la société, à la nature, etc.

  

Scientifique et agnostique, non essentialiste et plutôt matérialiste, la thèse de Scott Atran dissout toute dichotomie entre l'homme neuronal théiste/déiste et l'homme neuronal agnostique/athée, car selon lui " les croyances et pratiques religieuses impliquent exactement les mêmes structures cognitives et affectives que les croyances et pratiques non religieuses – et pas d'autres – mais selon des modes (plus ou moins) systématiquement distincts "   . Comment ne pas se rappeler une célèbre sentence de David Hume ?   . Ceux qui soutiennent philosophiquement que notre cognition, c'est-à-dire " la structure interne d'idées représentant le monde et commandant les comportements appropriés au monde représenté "   , crée les croyances, les dieux et les religions, ne démontrent pas grand chose s'il ne vont pas au-delà de cette simple affirmation. D'où ce long voyage multidisciplinaire basé sur de nombreuses expériences de laboratoire et de terrain, au sein de cultures variées, passées et présentes.

 

Au début était la sélection naturelle

 Cet ouvrage s'inscrit – indirectement - dans l'esprit de l'année Darwin de part son contenu liant les abondantes études sur le système modulaire cognitif aux processus de sélection naturelle et d'adaptation évolutionnaire   , comme à la coopération, au sacrifice, etc.   . Empruntant au fondateur de l'éthologie comparative Nikolaas Tinbergen la définition d'agentivité   comme un mécanisme déclencheur inné issu de la sélection naturelle facilitant la reconnaissance d'agents (entités comme des personnes, des animaux, des phénomènes naturels ou virtuels, abstraits, etc.) pouvant porter atteinte à l'intégrité (prédateur, ennemi,...) ou au contraire pouvant être gratifiant (proie, ami,...), Scott Attran fait de l'agentivité surnaturelle " le concept qui, dans la religion, est le plus culturellement récurrent, le plus pertinent sur le plan cognitif et le plus convaincant du point de l'évolution "   . Dans un monde souvent imprévisible, aux épisodes perturbants, alors " du point de vue cognitif, les humains sont susceptibles d'invoquer des agents surnaturels chaque fois que se produisent des évènements émotionnellement éruptifs ayant les caractéristiques superficielles de structures d'évènements telique sans force de contrôle apparente "   . La religion, via les agents surnaturels et le système évolutionnaire de détection d'agentivité, aide à supporter – transculturellement - les pics d'émotions comme l'angoisse existentielle, le stress, la culpabilité, la peur, l'hyper-émotivité, etc. sous-produits de l'évolution permettant de résoudre " le tragique de la cognition "   . J'esquisse l'hypothèse, pour avoir étudié le sujet, qu'il pourrait en être de même pour l'inhibition de l'action   . La religion possède une fonction sociale, économique, politique intellectuelle et émotionnelle fondamentalement utilitaire, ne serait-ce que pour rassurer et apaiser les esprits.

 

Moraliser les engagements

 Syncrétique, intemporelle et non réfutable par définition, la religion - terme générique - s'associe au sacré, c'est-à-dire à ce qui appartient au domaine séparé (hors du monde profane, commun), intangible et inviolable et qui doit inspirer crainte et respect. Elle vise à structurer autant qu'à rassurer, à contraindre autant qu'à libérer. Semblable au Panopticon de Jeremy Bentham, elle considère que " pour garantir la survie morale sans recourir à la force brutale et à la menace permanente de rébellion, il faut que tous les partis concernés – qu'ils soient maître ou esclaves – croient réellement que les dieux les observent en toutes circonstances, même quand personne d'autre n'est susceptible de les voir "   . On peut comprendre que la volonté ou le souhait d'éradication de la religion – pour des raisons autant philosophiques que politiques - soit voué à l'échec, d'aucun s'y sont essayé sans succès   .

 

Si " les expériences de Dieu et les rituels religieux sont des conséquences évolutionnaires de l'organisation neuronale "   rien n'indique à ce jour que les bases neurophysiologiques de la foi soient parfaitement connues et identifiées comme causes uniques de la religiosité comme nous le détaillera Scott Atran dans un chapitre passionnant sur les " ondes de passions " avant de s'attaquer aux dispositions génétiques louées par la sociobiologie   . Une autre piste d'explication s'ouvre avec la mémétique. En considérant que " toute analyse doit traiter les signes matériels effectifs et non les types idéaux "   , la problématique des mèmes nous semble plus appartenir aux second cas qu'au premier. Le concept de mème est défini comme une unité culturelle hypothétique (idée, croyance, etc.), subissant la sélection darwinienne et cherchant à maximiser ses aptitudes reproductives, qui se transmet non génétiquement mais par imitation d'un esprit à un autre   . Doit-on réellement considérer le mème (ou les associations de mèmes, les méméplexes, dont les cultures et les religions) comme un élément de culture, tel que le définit l'Oxford English Dictionary, ou comme un idéal-type ? A cela Scott Atran répond sans détour que " les idées ne peuvent se reproduire ou se répliquer dans les esprits. Elles ne nichent pas dans les esprits ni ne les colonisent, et elles ne se propagent pas d'un esprit à un autre par imitation. Ce sont les esprits qui produisent et engendrent les idées "   .

 

Il existe une autre voie, non abordée dans ce livre, qui pourrait compléter ce tableau des causes/explications possibles. Cette voie a été ouverte entre autre par l'anatomiste Louis Bolk et par le paléontologue Stephen Jay Gould. Ils ont énoncé que chez l'Homme, au bout des neuf mois de grossesse, l'enfant naissait trop précocement. Le bébé serait en quelque sorte prématuré, il sortirait trop tôt du ventre de la mère. Toute une réflexion a été développée sur cette question portant sur ce qui a été nommé néoténie humaine   . De cette incomplétude de naissance (où la neuropsychologie humaine serait influencée), l'homme aurait inventé par compensation ce que le philosophe Dany-Robert Dufour – se basant sur la néoténie - nomme les grands Sujets, c'est-à-dire les dieux, les esprits, etc.   . Il est curieux que cette possibilité ne soit pas abordé chez Scott Atran, pourtant lecteur de Stephen Jay Gould. Il n'en reste pas moins que les travaux de Scott Atran restent d'une grande importance pour qui veut actualiser ses connaissances sur les processus de croyances au crible de l' anthropologie cognitive évolutionniste