Une histoire de la prison depuis la Libération construite à partir de témoignages de détenus et de surveillants qui critique la mise à l’écart du monde carcéral.

Récits de surveillants et de détenus pour retracer l’histoire de la prison en France depuis 1945. La prison des années 1970 n’est déjà plus la même qu’à la Libération, et les améliorations se poursuivent après 1974 et 1981. Mais la psychose sécuritaire ne cesse de croître. Le "populisme pénitentiaire" pervertit aujourd’hui la politique pénitentiaire, comme le "populisme pénal" a perverti la politique pénale.


Le témoignage de ceux qu’on entend peu

À la fois livre d’histoire et livre de témoignages, Vivre en prison est d’abord un récit, un recueil d’"histoires" comme l’indique le titre. C’est le premier intérêt de cet ouvrage qui réunit souvenirs publiés et non publiés (livres, entretiens, articles d’époque, etc.) sur les grandes étapes de l’histoire des prisons depuis 1945, et aborde de cette manière les "incontournables" de la vie carcérale, côté détenus (l’écrou, les cantines, les visites, l’hygiène, etc.) et côté surveillants (le recrutement, le premier jour, etc.).

Le travail réalisé doit être salué, car il permet de donner la parole à ceux qu’on entend peu : les détenus, qui, sauf profil atypique, rejoignent rarement la famille des écrivains, et les surveillants, que leur faible considération dans la société française n’incite souvent pas à se livrer. L’accent mis sur le quotidien de la prison aboutit à réduire la distance entre détenus et surveillants, effet à la fois excessif (une dimension manquera toujours aux prisonniers : la liberté…) et intéressant dans l’approche de l’univers carcéral.


La lente amélioration des conditions carcérales

Historiquement, on apprendra peu de choses. Mais le parti pris de donner le premier rôle aux témoignages directs crée un effet de proximité intéressant sur un sujet que les Français aiment tenir sagement éloigné de leurs préoccupations. Pas de prétention à la scientificité dans ce recueil de récits, mais un effet indéniable de vérité.

L’auteur nous replonge d’abord dans les années qui ont suivi la Libération, avec l’épuration et l’afflux de détenus dont certains (les "politiques"), étaient mieux traités que les autres (les "droits communs"), principe qui ne variera pas par la suite, même si c’est au prix d’âpres luttes comme pour les combattants du FLN pendant la guerre d’Algérie.

Les conditions de vie et de travail dans les prisons s’améliorent progressivement. Mais les évolutions restent lentes, et toujours en retard par rapport à la société. Les établissements pénitentiaires sont à l’écart de mai 1968, qui produit ses effets avec plusieurs années de retard, dans l’agitation des années 1970-1972 et les mutineries de l’été 1974.


Un lieu à l’écart du monde

Certes, les prisons des années 1970 ne sont pas les mêmes que celles de la Libération : moins de vétusté et de délabrement, davantage d’effectifs et de meilleures conditions de vie. Les améliorations sont encore plus sensibles après 1974 et surtout après 1981. Mais l’établissement pénitentiaire reste un autre monde. La prison est toujours en retrait par rapport à l’évolution politique et sociale, comme si l’enfermement ne suffisait pas, et qu’il fallait considérer comme allant de soi l’écart entre la vie en prison et la vie au dehors : pas de droit aux journaux jusqu’aux années 1960, pas le droit de fumer pour les femmes jusqu’à la fin des années 1960, pas de médecine digne de ce nom avant les années 1980, etc. Quelles que soient les évolutions, la prison reste faible face à l’arbitraire, parce qu’elle est à l’écart du monde et que les contre-pouvoirs y sont rares.

Est-ce propre à la France ? Est-ce dans la nature de la prison ? Pourquoi des pratiques d’humiliation et de brimades y ont-elles si longtemps survécu ? Pourquoi les droits qui nous paraissent si essentiels (information, santé, etc.) y sont-ils niés si facilement ? L’ouvrage est ici contraint dans son ambition par ses sources et s’étend peu sur la résignation qui a rendu possibles les pratiques les plus critiquables.

Selon Hélène Bellanger, c’est d’abord le résultat d’une psychose sécuritaire qui n’a cessé de progresser depuis les années 1960. Dans une société de plus en violente qui répond à la déviance par l’enfermement, on refuse de s’interroger sur les effets de cette politique. Le "tout sécuritaire" doit primer dans les prisons comme il prime dans la politique pénale. Le temps est venu d’un "populisme pénitentiaire" répondant au "populisme pénal".

La prison, criminogène et désocialisante, ne contribue-t-elle pas à fragiliser les lignes du consensus social ? Ni la droite ni la gauche n’ont aujourd’hui, sauf exception, la volonté d’affronter le problème, au motif que l’opinion ne serait pas prête. Face à la montée de la violence dans notre société, la prison incarne la solution de facilité. Emprisonnement et pénibilité doivent-ils être liés ? La dignité de la République est bien loin quand ne subsiste que la capacité d’indignation.