Le New Deal fut mené par Roosevelt, mais il n’était pas seul. Adam Cohen brosse le portrait de ses collaborateurs et décrit ses premiers jours au pouvoir.

Le récent voyage en Europe de Barack Obama a rallumé la flamme de l’ "obamania", qui semblait s’être quelque peu affaiblie depuis l’investiture du président américain en janvier dernier. Ce séjour a néanmoins donné lieu à de nombreuses critiques aux Etats-Unis, certains accusant Barack Obama d’avoir trop donné aux Européens, en privilégiant la régulation au lieu de la relance, et en Europe, où d’autres ont jugé que le G20 n’avait pas tenu ses promesses de refondation et de "moralisation" du capitalisme, à la suite notamment des décisions prises sur les paradis fiscaux (aucun des Etats américains – Delaware, Nebraska par exemple – dotés de politiques fiscales fort avantageuses ne figurent sur la "liste grise"). Les partenaires européens se sont néanmoins accordés pour saluer le changement de ton des Etats-Unis en matière de politique étrangère ; la première puissance mondiale, bien que continuant à défendre ses intérêts et à affirmer ses prérogatives (par exemple sur la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne), est apparue ouverte à la collaboration, aux antipodes du discours tenu jusque-là par le président Bush.

Gardons-nous d’oublier, cependant, que la politique étrangère, bien qu’importante (Irak, Afghanistan), n’est pas le chantier principal du président Obama. Sa priorité reste son pays, qui peine toujours à se relever de la crise économique. Le chômage continue sa progression (il a atteint en mars le seuil historique de 8,5% de la population active), l’industrie automobile, en dépit des financements de l’Etat fédéral, ne se relève pas, et le système bancaire reste instable, malgré les plans successifs d’aide mis en place par le gouvernement.

La situation contemporaine est bien différente de celle qui existait en 1933, pendant la Grande Dépression, lorsque Franklin Delano Roosevelt devint le trente-deuxième président des Etats-Unis. Le chômage était à l’époque bien plus important (près d’un quart de la population active en 1932), la situation internationale tendue (Hitler fut élu chancelier en janvier 1933, Mussolini était au pouvoir en Italie, et la conférence de Londres de juin 1933 renforça le protectionnisme), et la pauvreté telle que de nombreux Américains ne parvenaient plus à se nourrir. Néanmoins, la référence à Roosevelt est devenue incontournable lorsque l’on parle de Barack Obama, et ce dernier a lu nombre de livres sur la grande dépression, y compris celui d’Adam Cohen, paru en janvier dernier.

Franklin Delano Roosevelt est arrivé au pouvoir à une période exceptionnelle. Il faisait suite au président Hoover, qui pendant longtemps avait nié la réalité de la Grande Dépression, comptant sur l’initiative privée pour relancer l’économie et sur les Etats ou les organismes caritatifs pour aider les pauvres. Comme il le dit en 1932 : "La prospérité est au coin de la rue". Roosevelt fut largement élu en 1932, et il disposait d’une large coalition, et de la confiance de la grande majorité des Américains. Son bilan en tant que gouverneur de New York était positif sur le plan social, et le nouveau président était charismatique et brillant, tout en demeurant proche de ses électeurs (à travers notamment la mise en place des "conversations au coin du feu" à la radio) et en étant un parangon de courage dans sa manière de vivre son handicap.



L’originalité du livre de Cohen, cependant, est de nous montrer que le New Deal ne se limite pas à Roosevelt (qu’il soit considéré comme un bienfaiteur ou un président autocrate), et que le président était bien entouré pour se lancer dans la véritable révolution que représentèrent les mesures prises tout au long des années 1930. Le premier gouvernement Roosevelt était pour le moins composite, comportant aussi bien des conservateurs fiscaux (Lewis Douglas, le directeur du budget) que des progressistes parfois radicaux (Frances Perkins, ministre du travail, Harry Hopkins, futur directeur de la WPA) ; les premières mesures prises (Economy Act, restreignant les dépenses du gouvernement fédéral, Banking Act, loi visant à stabiliser les banques) ne correspondent guère à l’image que l’on se fait du New Deal aujourd’hui. Cohen montre bien le mélange de chaos et de planification qui caractérise les cent premiers jours de la présidence Roosevelt, les luttes d’influence (avec la victoire finale de Perkins et Hopkins), et il se concentre sur le cercle restreint des ministres et conseillers les plus proches du président. Ce dernier apparaît presque toujours en dernière instance, lorsqu’il s’agit de trancher. Il n’élabore pas les politiques (ce qui d’ailleurs n’est pas son rôle), il les approuve et en prend la responsabilité. Il est frappant de voir à quel point Roosevelt lui-même évolue au cours de ces cent premiers jours. Partant de positions assez conservatrices, notamment sur les dépenses de l’Etat fédéral, hostile à la mise en place de grands travaux, selon lui trop coûteux, il finira par être convaincu de leur nécessité, et c’est en grande partie pour cela qu’il est aujourd’hui salué.

Ce que Cohen met en valeur, c’est donc ceux qui travaillent autour du président, et avec lui, mais aussi la philosophie générale qui guide le début du New Deal (et qui ne fera que s’accentuer lors de ce qu’on appelle le "second New Deal" de 1935-36, plus progressiste), et qui transforme radicalement la manière de gouverner aux Etats-Unis. En effet, jusqu’à Roosevelt, les présidents démocrates comme républicains considéraient que l’Etat fédéral devait se mêler le moins possible des affaires intérieures du pays. La révolution du New Deal est avant tout une révolution dans les mentalités, dans l’image que les Américains se font de leur gouvernement et de son rôle. Avec le New Deal est introduite l’idée que le gouvernement fédéral doit protéger ses citoyens lorsque ceux-ci ont besoin de cette protection, sans pour autant entrer dans une logique d’assistanat. Et, comme le souligne Cohen dans la conclusion de son livre, ce changement de mentalité est l’héritage le plus durable du New Deal. Si des mesures individuelles ont pu être remises en question (la réforme de l’agriculture, la sécurité sociale, l’assurance vieillesse), les principes fondamentaux, eux, sont durablement inscrits dans l’esprit des Américains. Reste à voir comment Barack Obama va choisir de réactiver cet héritage, et s’il est en mesure de le renouveler à l’aune de la situation contemporaine