Ce recueil de 11 articles souligne l'attrait de la ville mais analyse un peu en surface ce phénomène urbain.

Le sentiment de la ville

En 1950, le monde comptait 86 villes de plus d’un million d’habitants ; aujourd’hui, on en dénombre 400 et, en 2015, il y en aura au moins 550. Les villes ont en réalité absorbé près de deux tiers de l’explosion de la population mondiale depuis 1950 et croissent actuellement au rythme d’un million de naissances ou d’arrivées de migrants chaque semaine. 95% de cette hausse vers l’apogée de la population humaine aura lieu dans les zones urbaines des pays en voie de développement, dont la population doublera pour atteindre 4 milliards au cours de la prochaine génération. De fait, l’ensemble de la population urbaine de Chine, de l’Inde et du Brésil égale à peu près à celle de l’Europe et de l’Amérique du Nord.  Le phénomène le plus célèbre dans ce tourbillon de chiffres est la multiplication des mégalopoles d’une dizaine de millions d’habitants et d’hypervilles de plus de 20 millions d’habitants. La compréhension de l’urbanisme actuel ne peut plus se réduire à une opposition formelle entre un modèle américain d’habitat, qui comprend un centre pauvre et une périphérie tentaculaire qui abrite des classes moyennes et supérieures, et un modèle européen avec un centre embourgeoisé et des grands ensembles périphériques pauvres. Notons, cependant, que la périphérie pavillonnaire qui loge les classes moyennes s’étend gigantesquement. Le mélange rural/urbain et un urbanisme diffus deviennent le paysage typique du 21ème siècle. Les centralités sont multiples, organisées en réseaux lâches. Ce sont des systèmes urbains polycentriques dénués de frontières claires entre le rural et l’urbain. Cette croissance urbaine est majoritairement épongée par la croissance bidonvillaire qui constitue dans les 6% de la population des pays développés et dans les 80% de celle des pays en voie de développement. Dans ce panorama apparemment sombre où, pour beaucoup de chercheurs ou de décideurs des organisations internationales, il s’agit de lutter contre la pauvreté, une enquête d'opinion a été lancée pour apprécier ce qu'il en était réellement du sentiment de vivre en ville.

 L'Observatoire  des modes de vie urbains qui a été mis en place par Veolia environnement a lancé une enquête menée par l'institut IPSOS fin 2007 auprès de 9000  habitants de 14 grandes villes (Londres, Lyon, Paris, Berlin, Prague, Alexandrie, Shangaï, Pekin, Tokyo, Sydney, Chicago, Los Angeles, New York et Mexico) qui fournit l'occasion de cet ouvrage. Il existe de nombreux classements hiérarchiques des villes. Mais l'objet de ce travail même s'il autorise un tel classement n'est pas d'en fournir de nouveaux fondements. Son projet est de mettre en évidence les opinions, les aspirations, les satisfactions, les inquiétudes des urbains : ce n'est pas tant la ville qui importe que le mode de vie urbain et son appréciation. La ville n'est pas juste une configuration spatiale mais un état d'esprit. L'essentiel de ces articles concerne donc le sentiment des citadins. Quelle appréciation donne t-il de leur vie en ville ? Partout et dans toutes les strates de la population  on note une satisfaction globale à l'égard de la ville : la ville est toujours l'endroit où s'affranchir des dépendances communautaires et une ville idéale compilerait, selon les enquêtés, la propreté de Los Angeles, le cadre de vie de Sydney et de Chicago, la taille humaine de Lyon, le caractère festif d'Alexandrie, les facilités de rencontre permises à Berlin, les transports en commun de Tokyo, la diversité des populations New-Yorkaises, le dynamisme économique de Shangai et de Pékin, l'offre culturelle de Paris et l'architecture de Prague. En somme les externalités de la ville sont positives et viennent compenser pollution, crimes, embouteillage, surpeuplement, visibilité de la misère, érosion des solidarités vicinales et ségrégations. Cependant, notons quand même que les appréciations oscillent entre la ville radieuse offrant de nombreuses opportunités et la ville monstrueuse refuge d'une pauvreté contemporaine incontrôlable et conduisant à l'expansion tentaculaire des espaces de l'urbain.



Classes et déclassification des populations
Les derniers articles traitent moins des sentiments que d'une certaine réalité urbaine. Ils viennent donc compléter l'analyse opérée par les précédents articles. Par exemple, une des qualités essentielles de la ville est d'offrir de la mobilité. Elle offre des opportunités de carrière, permet les rencontres, donne l'illusion du voyage d'un quartier à l'autre, etc. La mobilité advient quand le déplacement implique un changement social, soit un changement de rôle, de fonction ou d'état chez la personne qui le réalise. Il y a donc découplage entre mobilité et déplacement, et c'est ainsi que la sociologie de la mobilité structure conceptuellement l'espace urbain à partir de trois dimensions : premièrement, le champ des possibles, soit un champ d'opportunités pour les mobilités (réseaux, structuration de l'espace urbain, marché de l'emploi, etc.) ; deuxièmement, les aptitudes à se mouvoir : ce sont des capacités physiques, le revenu, l'aspiration à la mobilité, etc. ; et, enfin, les déplacements. Pourquoi s'attarder sur cet article de Vincent Kaufman en particulier ? À un moment où la ville devient le fait humain par excellence, il parait pertinent de cerner plus complètement l'espace de ressources qu'elle constitue au-delà des externalités négatives telles la pollution ou les embouteillages. Louis Chauvel traite de l'évolution des classes moyennes et explique le découplage entre les capitaux culturels (diplôme notamment) et économiques dans la stratification sociale des classes moyennes et le lien avec leurs représentations de la ville. Chaque global city présente un profil sociologique critique qui reflète des tensions locales  et spécifiques dans l'espace public. Les surdiplômés pauvres constituent la spécificité de ces classes moyennes nouvelles. Julien Damon s'intéresse aux inégalités et à la pauvreté urbaine.

L'expansion des villes en particulier dans les pays d'Asie et d'Afrique engendre un étalement urbain monstrueux essentiellement composé de logements précaires. Dans le meilleur des cas (ce qui n’est pas une tendance majoritaire), les états des pays concernés tentent d’absorber la croissance urbaine, par une offre en logements collectifs et sociaux : ces logements ne contentent pas, d’ailleurs, toujours des populations rurales venues avec leur mode de vie et qui s’en sentent coupés par l’organisation socio-spatiale qui leur est offerte dans ces nouveaux logements. Parfois, il n’y a même plus de rapport entre l’État ou la municipalité et les habitants de ces villes qui ne bénéficient d’aucun service et apprennent à traiter avec d’innombrables intermédiaires qui tirent profit de la pauvreté régnante. Habiter, dès lors, signifie combiner avec succès le coût du logement, la sécurité de la jouissance des lieux, la qualité de l’air et de l’environnement, le temps de trajet jusqu’au travail et, parfois, la sécurité personnelle. Pour beaucoup, le fait d’avoir une situation, aussi précaire soit-elle, à proximité d’un lieu de travail est primordiale. Habiter correspond à des enjeux divers (récréationnels, économiques, marchands etc.) et à un usage utilitaire. Habiter devient donc essentiellement un enjeu en termes d’accessibilité, de proximité à des services.


En somme, ce recueil d'articles montre l'intérêt que la ville comme mode de vie continue de susciter dans un environnement globalement troublé et en dépit des réserves qu'elle suscite. Il reste à la rendre habitable et l'on n'échappera pas à une réflexion approfondie sur ce que cela peut vouloir signifier notamment sur le plan de l'environnement. La ville du futur est encore à imaginer