Le critique rock Rob Sheffield se remémore une jeunesse heureuse à travers des compilations enregistrées sur cassettes.
Critique rock pour Rolling Stone et MTV, Rob Sheffield livre ici un récit autobiographique dont la musique, et plus précisément la musique enregistrée sur des cassettes, est le fil rouge. Adolescent dans les années 80 et adulte dans les années 90, Sheffield a très tôt développé une véritable obsession pour le rock. Alors que les années 80 ont été essentiellement subies (les groupes de hard-rock du type Boston, les morceaux qu’il faut passer pour faire danser les filles, ceux qu’on aime bien mais qui ne font pas danser les filles...), la décennie suivante a été un véritable âge d’or, qui forme le corps principal de ce livre. « J’ai bâti ma vie entière autour de mon amour pour la musique, et je vis entouré de musique. Je passe mon temps à courir après ma prochaine chanson préférée. Mais je n’arrête jamais d’écouter mes compilations. (…) Les compilations conservent mieux les souvenirs que les tissus du cerveau. Chacune d’entre elles raconte une histoire. Rassemblez-les, et vous aurez l’histoire d’une vie. »
Chaque chapitre commence donc par la liste de chansons de l’une de ces cassettes. On y trouve à peu près de tout : beaucoup de Pavement, de Big Star , de morceaux et de groupes parfaitement inconnus, de la soul, du hip hop, et même « Dur, dur d’être un bébé » de Jordy. En 1989, le grand échalas rongé de timidité rencontre celle qui deviendra sa femme, Renée, dans un bar de Charlottesville, Virginie, grâce à un goût partagé pour Big Star. Bientôt ils tombent amoureux, vivant essentiellement d’amour et d’eau fraîche, et à l’occasion de piges pour des magazines musicaux. Ils mènent une vie insouciante, rythmée par les balades en voiture autour de la ville, les concerts, les cuites, et surtout les cassettes que l’un comme l’autre enregistrent à profusion. Rob Sheffield se remémore une période qui prend des couleurs d’autant plus vives qu’elle est brutalement interrompue par la mort subite de Renée, d’une embolie pulmonaire. Là encore, la musique est un fil conducteur, parce que chaque cassette a fixé une époque, des moments ou des instants auxquels Renée est associée. Rob aura besoin de plusieurs années pour parcourir le chemin vers la guérison, ou à tout le moins vers une vie qui « déborde de chansons préférées de nouveaux groupes préférés, de nouveaux amis avec qui les partager. » En définitive, dit-il dans la conclusion, qui est également le titre original du roman, « love is a mix tape » - l’amour est une compilation.
Manque de force
Bande originale aborde des thématiques assez voisines des romans de l’Anglais Nick Hornby (High Fidelity, adapté au cinéma par Stephen Frears) – l’imprégnation totale d’une existence par la musique, la manie des compilations, des classements, les questions morales fondamentales (peut-on sortir avec une fille qui aime les Simple Minds ?), la manière dont la musique peut aider à guérir ou au contraire aviver les blessures de l’existence. Ce n’est donc pas l’originalité qui distingue Rob Sheffield, mais une écriture assez sincère et directe, par moments vraiment émouvante – notamment dans la scène de l’enterrement de Renée.
Bande originale est également un témoignage de ce qu’était le « rock indépendant » aux Etats-Unis dans les années 90, la décennie ou la notion a émergé comme une alternative à la production de plus en plus standardisée des majors et à l’essoufflement du hard rock. A cette époque également, les filles ont brisé l’hégémonie machiste en formant elles-mêmes des groupes qui n’avaient rien à envier aux hommes, comme Sleater Kinney, injustement méconnu en Europe. Les filles savent jouer du rock, découvrait-on soudain, et nous pouvons déplorer avec Rob Sheffield que la leçon n’ait pas été retenue, puisque le rock besogneux de chanteuses comme Avril Lavigne fait le plus grand bonheur des lycées américains, exploitant à l’infini un filon commercial-rebelle pour adolescents attardés. La floraison de groupes indépendants, dans le sillage de Pavement, a laissé la place à une standardisation croissante de la production musicale et à une réduction drastique du nombre de titres diffusés par les radios. A la fois souvenir d’une phase de son existence et d’une époque musicale révolue, Bande Originale est touchant à ces deux titres.
Pourtant, le roman manque de force. A en juger par l’absence d’attaques personnelles, par la profusion des remerciements et la conviction plusieurs fois exprimée que les gens ont en eux des trésors de bonté insoupçonnés, Rob Sheffield est manifestement un type sympathique. Ce qui donne à son écriture un humour un peu convenu, un vernis d’amabilité. Il ne s’agit pas de juger un ouvrage de critique rock (ou, plus adéquatement ici, un roman rock) par le nombre de "fuck" qu’il contient, mais on y recherche en général une forme d’énergie, de rythme qui manquent ici