Les quatre candidats de tête pour l’investiture républicaine ont de quoi inquiéter les tenants de la Christian Right : un divorcé deux fois, partisan du mariage gay ; un mormon ; un acteur d’Hollywood qui avoue ne pas aller régulièrement à l’Église et un adversaire patenté des figures de la droite chrétienne que sont Jerry Falwell et Pat Roberston. Pourtant, il y a quelques années encore, les électeurs de cette même droite chrétienne semblaient maîtriser l’élection et avoir trouvé un président sur mesure en la personne de George W. Bush. Comment expliquer ces changements ?, David Kirkpartick   revient en détail sur un sujet qu’il connaît bien dans son article "The evangelical crackup" (L’effondrement évangéliste).  


La droite chrétienne, splendor et demise

Avant toutes choses, il faut rappeler que le destin de la Christian Right et celui du président Bush sont devenus indissociables ces dix dernières années. Capitalisant sur le travail d’évangélistes comme Jerry Falwell ou Billy Graham   , mais aussi évidemment sur les acquis de la période Reagan. Le texan born again a incarné les espoirs des chrétiens de droite en ce début de millénaire. Une fois en poste, il a tenté de tenir cette promesse faite aux fidèles, et l’a d’ailleurs tenue dans une certaine mesure   rendant quelque part ce que les églises lui avaient apporté (elles sont parfois de vraies machines politiques, n’hésitant pas, en 2004, à demander aux pasteurs protestants d’"inciter les gens à aller voter" ou d’organiser une "fête pour célébrer le président"). Mais le vent tourne. La popularité de Bush 41 frôle les minima historiques, Jerry Falwell meurt en mai 2007, Dobson   cherche une succession… Or la relève veut prendre une direction tout autre. On passe d’un modèle où, au bénéfice d’une "anomalie historique", dit Kirkpatrick, la religion a investi le politique d’une manière spectaculaire, à un retour vers un engagement plus modéré du spirituel dans le temporel.

Les nouveaux leaders, Warren et Hybel, paraissent beaucoup moins attachés au développement de liens aussi fort en religion et politique que ce que l’on a vu par le passé, et Hybel n’hésite d’ailleurs pas à inviter Bill Clinton à l’une de ses conférences (ce qui relève évidemment de la haute trahison pour la vieille garde), et à affirmer que le nombre croissant de victimes américaines en Irak "brise le cœur de Dieu". C’est là un des éléments essentiels de l’argumentation de Kirkpatrick. Dans cette histoire du désamour entre un président croyant mais guerrier et des fidèles qui subissent dans leur vie quotidienne la violence qu’implique l’engagement de leur pays dans le Golfe, le conflit irakien a forcément beaucoup joué. Ainsi, chez les évangélistes, le taux de soutien à George W. Bush est aujourd’hui un peu inférieur à la moitié ; il était de 90% il y a quelques dizaines de mois. Les plus fervents des croyants n’acceptent pas les contradictions de l’engagement en Irak, qui a fait plusieurs milliers de morts du côté américain.

Pour aller plus loin, on peut se demander si le public évangélique n’est pas en train de vivre sa crise post-moderne. Les institutions religieuses et politiques sont rejetées    ; on privilégie les issues (questions politiques) par rapport aux values (valeurs) de manière tendancielle ; on rechigne parfois à adhérer aux discours des grands pasteurs protestants, aussi charismatiques soient-ils.


Le choix impossible de 2008

En ligne de mire, une perspective forcément peu réjouissante : pour les républicains évangélistes ayant voté Bush deux fois de suite, un choix impossible devra se faire en 2008. Même Mike Huckabee, pourtant pasteur de l’Église baptiste, se "dé-radicalise" en ajoutant à sa rhétorique anti-avortement qu’"on ne peut pas respecter la vie uniquement pendant la grossesse", faisant sortir le débat d’un cadre moral et religieux pour lui donner une dimension bien plus prosaïque. Plus déroutante encore est l’attitude des trois favoris démocrates   , qui opèrent de leur côté un mouvement de sens inverse : on les a entendu tenir des propos presque trop pieux pour des libéraux ! Avant de conclure sur le caractère cyclique de ce genre de dynamiques religieuses, identitaires et politiques (ne fermant pas complètement la porte au retour d’une Christian Right aujourd’hui en piteux état), Kirkpatrick nous laisse réfléchir sur cette prédiction intéressante : en cas de course présidentielle entre Giuliani et Obama, les plus conservateurs imaginent très bien le vote chrétien se déplacer vers la gauche, voulant à tout pris éviter celui qui, en plus de s’être marié trois fois et de soutenir l’avortement, est l’ancien maire de New York !


"The evangelical crackup" , de David Kirkpatrick, New York Times Magazine, le 28 octobre 2007.