La notion de genre explorée à la lumière d'une approche relationelle.

Irène Théry, sociologue et Pascale Bonnemère, anthropologue, s’intéressent toutes deux à la question du genre et plus particulièrement aux représentations liées à ce concept. Elles engagent également une réflexion sur les liens de parenté et de filiation afin de démontrer que le genre ne doit pas seulement être considéré comme un attribut identitaire mais aussi comme un support des relations sociales. Ce livre réunit treize collaborations issues de différentes disciplines (sociologie, anthropologie, ethnologie, histoire et philosophie). Elles ciblent toutes la pertinence de l’utilisation de cette variable du genre. Certaines études présentées sont fondées sur l’anthropologie comparative ; celle-ci permet de mettre en évidence les relations sociales qui se nouent au moment de la distinction entre les hommes et les femmes, dans différentes sociétés. Dans ce livre, l’anthropologie comparative est utilisée afin d’étudier et de comparer le fonctionnement des sociétés modernes occidentales et traditionnelles   . Cette façon d’étudier les rapports humains permet de mettre en évidence l’approche relationnelle et non seulement identitaire du genre. Dans ce cadre interactionniste, les hommes et les femmes ne sont plus considérés comme des produits, des entités préexistantes à toute forme de relation sociale. Les relations entre les hommes et les femmes ne peuvent se comprendre simplement à travers des différences identitaires. Pourquoi le sexe serait-il la seule variable qui déterminerait l’identité de la personne ?

Le genre et la personne " s’éclairent donc mutuellement "   . Le fait d’insister davantage sur les relations sociales et non plus seulement sur la " fabrique du sexe ", ou plus précisément, sur la fabrique de l’identité masculine et féminine, permet de mieux comprendre pourquoi il est important et pertinent de définir ce qui constitue une personne et surtout de préciser ce que le genre fait à cette personne.

Les différentes contributions de ce livre s’enchaînent pour illustrer l’importance de la variable du genre par rapport à celle du sexe. Malgré le manque de lien entre les différentes parties, chaque contribution contient de nombreuses données intéressantes. Néanmoins, une telle densité peut apparaître comme un obstacle à la compréhension lors d’une première lecture. La richesse d’un travail collectif tient, en effet, à la diversité des différentes recherches présentées mais cela demande donc un effort d’appréhension au lecteur.


Différences des sexes et distinction de sexe : propriétés et relations

La première partie de ce livre regroupe sept contributions qui, chacune à leur manière, tentent d’expliquer pourquoi il n’est pas pertinent d’envisager le genre que comme une simple distinction entre masculin et féminin. D’une société à l’autre, il est évident que les relations qui se nouent entre individus reposent plus souvent sur des critères de parenté, de filiation ou de statut social. C’est pour cela qu’Irène Théry propose d’opérer une distinction entre les différentes relations de sexe : opposé, de même sexe, indifférencié et combiné   .
Ces relations sociales sont à la base des rapports entre les deux sexes ainsi que de la manière dont les différents groupes sociaux vont coordonner leurs actions ou leur manière de se comporter entre eux. La seule mise en évidence du sexe nuit à l’interprétation sociologique et anthropologique des rapports sociaux entre les individus.
Pourquoi préférer le terme de " distinction " plutôt que celui de " différence " ? La principale raison est celle de la neutralité. Le terme de distinction énonce, en effet, sans présupposer la domination d’un sexe sur l’autre, que quelque soit la société étudiée, les hommes et les femmes ne peuvent être confondus. Les relations sociales, la filiation ou encore la parenté fonctionnent donc sur ce système de distinction de sexe. L’anthropologie sociale et comparative s’intéresse aux trois formes que cette distinction de sexe peut prendre : le sexe relatif, le sexe absolu et le sexe indifférencié, comme le montre la contribution de Cécile Barraud.
Cette distinction de sexe s’opère également dans le monde politique puisque certaines théories, dès la fin de la révolution française, mettent en avant que les femmes peuvent contribuer à maintenir l’ordre social, c'est-à-dire à restaurer et à conserver " la police des mœurs ". Anne Verjus montre dans cette contribution que la volonté de raffermir l’autorité du chef de famille passe indubitablement par les femmes.


Le rôle social de l’individu peut donc être lié au concept de genre. Pascale Bonnemère le montre par le biais du rôle des mères et des sœurs aînées dans le déroulement des rites initiatiques du passage au monde adulte des jeunes hommes Ankave-Anga   . Pendant longtemps, les travaux anthropologiques s’étaient désintéressés à la place des femmes dans ces initiations masculines. Les ethnologues ayant été longtemps majoritairement des hommes, ils avaient plus de difficultés à s’insérer dans le monde féminin. Pourtant, la présence des femmes dans certains lieux et le respect de certaines règles est le gage d’un déroulement serein et efficace. Ainsi, elles ne sont pas écartées de ces rites consacrés au passage des jeunes garçons au monde adulte masculin, elles y participent mais d’une autre manière.
Le sexe n’est pas la seule variable à prendre en compte pour mettre en évidence ce processus de distinction. Christelle Taraud le montre de manière pertinente lorsqu’elle étudie le sort de ces " filles soumises " au moment de la domination coloniale en Afrique du Nord. Ainsi, il n’est pas seulement question d’une domination des hommes sur les femmes mais d’une pluralité de dominations : genre, classe et " race ". Une hiérarchisation de ces formes de domination serait improductive. Elle montre qu’il apparaît plus pertinent de les interroger de manière simultanée et " en situation " pour mieux comprendre ce que recouvre le statut de " femme ", d’" indigène " et de " prostituée ".


Sexe / Genre, âme / corps : la personne et la question de la dualité


La deuxième partie de l’ouvrage insiste plus particulièrement sur l’histoire de l’Occident. Six contributions montrent combien la définition du genre fondée sur la dualité du sexe et du genre et plus précisément, d’un corps et d’un moi, peut être problématique. Cette acceptation est génératrice de malentendus car elle entraîne de nombreuses prénotions sur la définition de ce qu’est un homme ou une femme. De plus, elle ne répond pas, par exemple, aux questions concernant ce que l’on nomme l’identité transgenre   . Il est difficile de répondre à cette question du lien entre le corps, l’esprit et le sexe mais les recherches ne peuvent pas se baser uniquement sur l’opposition sexe-genre.


Définir les relations entre les individus en fonction de leur sexe semble trop restrictif dans la mesure où il ne suffit plus de penser en termes de différences naturelles entre les hommes et les femmes. C’est ainsi que Jérôme Baschet s’intéresse plus particulièrement à l’idée d’un dualisme entre le corps et l’esprit qui impliquerait cette idée de différences entre les sexes.
Cette dualité est également remise en question lorsqu’il est question du processus de socialisation. Ainsi, il paraît intéressant d’étudier comment la manière dont se construisent les personnalités de jeunes adolescents, filles ou garçons. Certaines études menées en anthropologie ont mis en évidence qu’au moment de l’adolescence, les jeunes filles écrivent des poèmes ou rédigent un journal intime. Mais que signifie cette pratique d’écriture ? En quoi participe-t-elle au processus de distinction de sexe ? Agnès Fine montre qu’elles mettent en place un processus de reconnaissance de soi et de leur place par rapport à autrui. Elle explique que la socialisation des jeunes enfants est sexuée et l’écriture de soi permet aux jeunes filles de se socialiser alors que peu de garçons avouent écrire un journal intime. L’écriture d’un journal intime ou l’entretien d’un classeur de photos d’une idole participent de ce fait à une forme de sociabilité féminine car ce sont les filles qui s’adonnent majoritairement à ce type de pratique d’écriture. Néanmoins, même si les garçons nient tout intérêt à ce type de pratiques, il serait faux de conclure que le sexe détermine l’écriture de soi et qu’il est donc " naturel " pour les filles de s’y consacrer à un moment de leur vie. Nous retrouvons, ici, les théories naturalistes accordant à chacun des deux sexes des particularités, fondant les différences sexuées, comme le présente Dominique Guillo.

 


En ouvrant la porte à une autre perspective du rôle du genre dans le déroulement des relations sociales, les études menées pourront mettre à jour l’importance des relations sociales entre les individus et leur interdépendance. Cette approche permet ainsi aux individus d’envisager le fait qu’ils ne se définissent pas seulement en fonction de leur sexe, mais par le biais de leurs interactions et de leurs expériences. Ce tissu relationnel nous permet de mieux comprendre ce que le genre fait aux personnes. Ainsi, les visions trop déterministes du rôle des sexes pourront être écartées. Les études menées sur le genre ne doivent plus seulement s’orienter sur la construction identitaire des individus. Au contraire, elles peuvent offrir un autre regard où le genre est défini comme permettant à l’individu de se situer dans la vie sociale, de construire des relations avec les autres.