Le grand spécialiste de Zola, Henri Mitterand, propose dans ce recueil douze essais sensibles et novateurs sur le romancier.

L’auteur de la monumentale biographie Zola (trois tomes, Sous le regard d’Olympia, 1999, L’Homme de Germinal, 2001 et L’Honneur, 2002, Fayard) et éditeur des Œuvres complètes (Nouveau Monde Éditions, 20 volume, 2002-2008), Henri Mitterand, rassemble dans Zola, tel qu'en lui-même plusieurs essais qui renouvellent la compréhension du romancier et corrigent bien des idées reçues.

Il est vrai que l’étiquette de “naturaliste”, certes commode, qui distingue bien l’auteur des Rougon-Macquart des tenants du réalisme, paraît plutôt réductrice face à l’ampleur de son projet et à la richesse de sa production. Car Émile Zola ne se contente pas d’appliquer à la littérature les acquis de la science, et en particulier des médecins. Certes, il a lu le Traité de l’hérédité naturelle du docteur Lucas, la Physiologie des passions du docteur Letourneau et les ouvrages des médecins aliénistes Trélat, Moreau de Tours et Morel, qu’il ne transpose pas pour autant à ses personnages strictement identifiés à des “cas” cliniques. Il y apporte sa touche romanesque, imaginative, tout en restant fidèle à une description vraisemblable des maux qui les accablent. “De ce point de vue, observe Henri Mitterand, la brève note ‘Famille lâchée dans l’assouvissement moderne’, est plus importante que les ‘Notes générales sur la marche de l’œuvre’, pourtant plus longues, où Zola fait converger tous les éléments qu’il a déjà mis en place : la considération tainienne du milieu, le thème familial, qui s’est dédoublé, la conscience des effets de l’hérédité, la pathologie mentale et morale, et la vision un tant soit peu hallucinée du moment moderne, tenu pour ‘fiévreux’, ‘détraqué’, ‘trouble’, hystérique convulsif : ‘les convulsions fatales de l’enfantement d’un monde’.” Monde comprenant le Sexe, la Mort, Dieu et l’Art et qui est magnifiquement servi par l’intelligence sans égale de son enquête sociale, comme en témoignent ses notes préparatoires, dossiers et carnets, et qui lui permettent de dépasser les deux composantes de ses personnages, le “tempérament” et le “milieu”.

Parmi ces douze études, pointons-en trois particulièrement novatrices et originales : “Espaces de l’histoire et espaces du roman”, “Un corps dans la ville” et “Mise au point : Zola et Cézanne”. Les deux premières s’occupent de l’espace/temps des situations zoliennes et du jeu des corps dans la ville. Les sites sont souvent imaginaires (Montsou, la cité carbonifère de Germinal, n’existe pas) mais Zola veille à toujours bien expliciter les itinéraires de ses personnages, à décrire dans le détail les logements et leur mobilier (Pot Bouille, L’Assommoir, Le Ventre de Paris), les vues (La Curée, Une page d’amour) et les alentours (La Conquête de Plassans, Madeleine Férat), ou encore la nature (La faute de l’abbé Mouret, La Joie, La Terre). Zola dote chacun d’un territoire et d’une place qui influent sur le caractère et même le destin. La troisième étude est un véritable petit dossier (quasi-définitif) sur les relations entre les deux amis d’enfance, Zola et Cézanne : leurs complicités, leurs différends et leur relatif éloignement et brouille. Apprenant la mort d’Émile, Paul s’effondre en larmes, comme quoi…

Refusant de conclure, l’auteur insiste sur ce qu’il nous faut encore découvrir dans une œuvre aussi immense, non pas d’un point de vue quantitatif, mais qualitatif. En effet, on dit méchamment “c’est du Zola”, pour désigner des récits misérabilistes, pleurnichards, au premier degré, alors que le gaillard possédait une plume incomparable qu’il maniait sur un large registre, du pamphlet (le “J’accuse…”) à l’émotion la plus subtile (Le Rêve), en passant par la fantaisie, le reportage, la science-fiction (Travail), l’humour, l’érotisme et plus généralement la sensualité. Sa plume trempe tout autant dans la sueur, les larmes, le sperme que dans l’encre ! Zola se lit très bien et ces essais nous incitent à nous y replonger. Lisons-le !