"Il y a eu trois grande inventions dans l'Histoire de l'humanité : le feu, la roue et Playboy !" La déclaration de Hugh Hefner, le fondateur du magazine érotique Playboy justifie sans doute la mise en ligne de quelques unes de ses archives. À partir de cette semaine est accessible gratuitement l’intégralité d’une cinquantaine de numéros parus entre 1954 et 2006. Au-delà de la curiosité pornographique dont chacun est libre, cette mise en ligne est intéressante à deux titres. D’une part elle permet d’observer l’évolution des représentations de l’érotisme, ou plus exactement, de la femme érotique et des standards de beauté. Et d’autre part, elle offre la possibilité de consulter de longs entretiens menés avec de grandes figures intellectuelles du XXe siècle.

 

52 "Playmate" : 50 ans d’érotisme

Les pin-up exhibées au fil des couvertures permettent d’examiner l'évolution de la nudité dans le magazine, et par extrapolation, la transformation des mœurs des années 1950 à aujourd’hui. Le magazine, né en 1953 en plein maccarthysme, a en effet évolué en symbiose avec la "révolution sexuelle" des années 1960 (premiers "nus intégraux" en 1959, érotisation de la "fille d’à côté"…), avec les normes esthétiques concernant la représentation de la femme : grossissement de la taille des seins artificiels, proportionnel à l'amaigrissement des corps, jusqu’à ce que se brouille la distinction entre "libération sexuelle" et codes pornographiques avilissants pour les femmes. La représentation des Playmates, de Marylin Monroe pour le premier numéro à Elle Macpherson, surnommée "le corps", en passant par Jessica Rabbits (la femme de Roger Rabbit), révèle en tous cas la plasticité du concept de beauté et la mutation des canons féminins au fil du temps.

 

Le corps… et l’esprit

La surprise, lorsqu’on n’est pas lecteur assidu du mensuel, est de découvrir grâce à cette digitalisation à quel point les articles de fond sont conséquents et intéressants. Reportages et entretiens sont  signés par quelques unes des plus grandes plumes de l'époque : entre autres, Henry Miller, Vladimir Nabokov, ou Tennessee Williams. Dans le numéro de mai 1971, Federico Fellini aborde par exemple les questions métaphysiques soulevées par son film Satyricon. Dans celui de janvier 1966, Jean-Paul Sartre revient sur ses souvenirs du Paris occupé. Le philosophe existentialiste témoigne de ses expériences intimes pendant la guerre, et réfléchit sur la confrontation des cultures française et allemande dans la capitale. En une dizaine de pages, les souvenirs se muent progressivement en un plaidoyer pour faire comprendre aux Américains combien les Français ont, malgré le régime collaborationniste, souffert de l’Occupation. Le numéro de mars 1968 propose quant à lui une longue et riche "conversation candide" avec Truman Capote, qui aborde notamment les problématiques liées à l’image de l’écrivain.

 

Archivage, début de la fin ?

Depuis plusieurs années, la concurrence d’Internet est rude pour les publications érotiques et pornographiques. L'entreprise de Hugh Hefner ne fait pas exception. Il va vendre son palais qui a accueilli des fêtes mythiques, les régulières Playboy parties ; ses bureaux de New-York fermeront en mai prochain, et pour accéder au contenu de Playboy en ligne, il faut passer par le téléchargement du player que Microsoft peine à généraliser, Silverlight : coup de publicité dont la contrepartie n’a pas dû être négligeable. La mise en ligne des archives de Playboy signifierait alors que le lapin blanc à nœud papillon appartient plus ou moins au passé. Tant mieux s'il est ainsi permis de consulter des documents précieux pour comprendre les mutations de la représentations du sexe, donc aussi l'évolution de nos sociétés