Une étude de cas sur l'internement des réfugiés républicains espagnols en France.

26 janvier 1939, Barcelone est la dernière ville à tomber entre les mains du général Franco. La guerre civile espagnole prend fin. L’heure de la "Retirada", la retraite, a sonné pour des milliers de soldats républicains qui combattaient jusque-là les troupes franquistes. Seule destination possible ? La France, qui vient d’ouvrir ses frontières à contrecœur, ballotée entre sa nouvelle politique sécuritaire et sa tradition de terre d’asile. En décembre 1938, Edouard Daladier a succédé à Léon Blum au poste de président du Conseil. Le Front populaire laisse place à une nouvelle "logique de sécurité" et ouvre la voie à l’internement administratif sur fond de crise économique et de tensions internationales. Le sort des réfugiés espagnols est scellé.


Maëlle Maugendre, historienne, s’est attachée à l’étude de l’un de ces camps d’internement, celui du Vernet d’Ariège. Dans son ouvrage, De l’exode à l’exil, l’internement des républicains espagnols au camp du Vernet d’Ariège, de février à septembre 1939, publié aux éditions Sudel, cette jeune universitaire détaille sur trois chapitres l’arrivée au camp, les conditions d’internement puis la lente intégration des réfugiés espagnols à la société française. Un sujet resté sensible dans le champ de l’histoire française.

En février 1939, les camps des plages du Roussillon qui accueillent déjà des espagnols sont pleins. Face à l’afflux depopulation civile et militaire, provoquée par la "Retirada", d’autres sont ouverts à la hâte. Celui du Vernet, ancien dépôt de matériel militaire, ouvre ses portes autour du 11 février 1939 et accueille une dizaine de milliers d’hommes, en grande majorité des militaires.


A l’intérieur du camp, la vie s’organise. Les autorités françaises tentent de palier les mauvaises conditions d’hygiène et d’installer l’ordre grâce à un sévère contrôle des internés, considérés comme "rouges et révolutionnaires". D’autant que le camp accueille la 26e division "Durruti", composée de soldats catalans, célèbres pour leurs faits d’armes de l’autre côté des Pyrénées. Système de surveillance renforcé, barbelés, locaux disciplinaires, censure, rien n’est laissé au hasard. Mais la question de ces réfugiés espagnols reste une épine dans le pied du gouvernement français. Comment liquider ces camps du "déshonneur" sans lâcher dans le pays ces milliers d’espagnols considérés comme un réel danger ?

Après l’exode, défini comme "le départ en masse d’une population", surgit la question de l’exil. "Si tout exil de masse commence dès lors par un exode, il n’est pas dit que chaque exode se transforme en exil" note l’auteur. Et d’ajouter : "Nombreux sont ceux, notamment parmi les femmes et les enfants, à rentrer en Espagne une fois la guerre terminée. Pour les autres, ceux qui pour des raisons politiques ne peuvent envisager de retour dans le pays natal, le véritable exil commence". Ces notions prennent vie au dernier chapitre, quand Maëlle Maugendre examine les alternatives possibles aux camps d’internement. Le retour au pays, la ré-immigration vers l’Amérique latine, l’intégration dans la société française ?


Les prémices de la Seconde Guerre mondiale changent la donne. Si au début de l’année 1939 il est hors de question d’intégrer les réfugiés espagnols dans l’économie française, les autorités revoient leur position et décident de "tirer parti, dans toute la mesure du possible, pour l’économie générale du pays, de la masse de réfugiés espagnols". C’est la création des Compagnies de Travailleurs Espagnols (CTE) au mois de juin 1939. Mais ces nouveaux contrats de travail ne constituent pas la seule issue. L’armée française recrute. "La lutte contre le fascisme continue". Les républicains espagnols n’ont pas oublié l’appui militaire de l’Allemagne au général Franco. L’Espagne en porte encore les traces. En France, le Guernica de Picasso en atteste. Les réfugiés viennent donc grossir les rangs de la Légion étrangère ainsi que des réseaux de résistance à partir de 1942, date d’occupation de la France par l’armée allemande.


Le 23 septembre 1939, le camp du Vernet d’Ariège ferme ses portes. Les derniers internés sont transférés. La question des camps d’internement du sud de la France est évacuée par les nouvelles priorités de la guerre contre Hitler. Mais les Espagnols continuent à souffrir de l’exil, cette "maladie sécrétée par l’histoire et la raison d’Etat" comme l’affirmait Paco Ibañez, cité par Maëlle Maugendre.  Cette dernière souligne la nécessité du devoir de mémoire envers cette période trouble de l’histoire. Ses pairs lui ont donné raison en accordant à son travail le prix Jean Maitron, décerné par le Centre d’Histoire sociale. Le XXe siècle, siècle des idéologies, à laissé place, dit-on, au siècle des identités. Le mémoire de Maëlle Maugendre, à travers l’histoire de ces réfugiés espagnols du camp du Vernet, montre comment le siècle passé a préfiguré l’explosion des questions identitaires au XXIe siècle
 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- Gilles Morin et Gilles Richard (dir.), Les deux France du Front populaire (L'Harmattan), par David Valence.

- Vicky Caron, L'Asile incertain (Tallandier), par Martin Messika.