Un recueil de textes mêlant fiction et réflexion, critique cinématographique et éléments autobiographiques.

"Au début, l’écriture est devenue un moyen de m’amuser en déversant une grande quantité d’informations inutiles que j’avais accumulées sur les films et qui encombraient mon cerveau (…) : le potin cinématographique, qui a fait quoi à qui, mêlé à de vagues et inégales connaissances de l’histoire du cinéma et parfois à une évaluation des films, critique mais, il faut en convenir, toujours très personnelle". Personnelle, l’approche de Mark Rappaport l’est sans conteste, par la façon dont il mêle sa personne et sa vie à celle des acteurs, des metteurs en scène et des films dont il parle. Cette subjectivité revendiquée, à laquelle s’adjoint une dimension autobiographique qui, sans être le nerf de son recueil, point çà et là au fil des textes, l’inscrit dans une mouvance de la critique américaine, celle de Jonathan Rosenbaum, par exemple, auteur d’une autobiographie cinéphile publiée aux éditions P.O.L intitulée Mouvements – Une vie au cinéma et traduite par Jean-Luc Mengus. Mais si Rappaport revient sur les lieux de son enfance cinéphile, décrit les salles et les circonstances dans lesquelles il a vu et revu un film, raconte ses pérégrinations sur des décors mythiques (photos à l’appui), ou encore relate sa rencontre improbable avec Catherine Deneuve, le plus souvent, le je qu’il adopte dans son écriture n’est pas le sien. Jean Seberg, Alfred Hitchcock, Rita Hayworth sont, entre autres, ceux qu’il fait soliloquer, en y mêlant parfois ses propres commentaires. Le résultat est un détonnant recueil de textes hybrides, situé "quelque part dans le no man’s land entre fiction, essai, développement de théories du complot, détails sur les us et coutumes du monde du cinéma, divagations, rêveries fantasques, conjectures…", que l’auteur finit par qualifier de "recueil de fictions sur d’autres fictions".


Acteurs et actrices sont au centre des rêveries et de la réflexion de cet écrivain de cinéma qui est d’abord cinéaste. C’est à eux qu’il s’adresse le plus souvent (dans "Ma vie avec Catherine Deneuve" ou "Toi, Silvana, toi, Capucine"), à eux aussi qu’il donne la parole. Lorsqu’il emprunte le point de vue d’Hitchcock ou Eisenstein, c’est encore pour les faire disserter sur leur actrice et acteur fétiche. A côté des stars que nous avons citées, figurent d’autres personnalités moins connues, ou complètement oubliées. C’est le cas des interprètes de L’Étrange Créature du lac noir : l’un, invisible sous son costume de monstre, l’autre presque nue dans son maillot de bain blanc, ils sont connus du monde entier mais leur nom a sombré dans l’oubli comme, a fortiori, celui de leur doublure. Rappaport se plaît à nommer chacun d’eux, Ben Chapman, Julie Adams, Ginger Stanley et Ricou Browning, pour rendre hommage à ceux qui n’ont jamais vraiment percé et pourtant "irradiai[en]t du désir douloureux et inarticulé d’autre chose". "Justicier", Rappaport l’est un peu, dans la façon qu’il a de lutter contre l’oubli, et à l’occasion, de prendre la défense de ceux que le monde du cinéma (ou autre) a pu terriblement maltraiter. Qu’on en juge par la réponse rageuse et féministe qu’il adresse, au nom de Jean Seberg, au "haïssable" Letter to Jane de Godard et Jean-Pierre Gorin, dans lequel les cinéastes s’en prennent violemment à Jane Fonda. Seberg (alias Rappaport) compare en effet l’engagement au Vietnam de Jane à sa propre implication aux côtés des Black Panthers : "Je maintiens qu’il [Godard] n’aurait rien fait même de vaguement similaire à une vedette masculine. Il y a toujours un aspect sexuel dans ces prétendues vendettas politiques. Voyez ce que le FBI m’a fait parce que j’avais couché avec des Noirs".

Dans son magnifique film From the Journals of Jean Seberg, Mark Rappaport faisait revenir son idole de l’au-delà sous les traits d’une actrice plus âgée qu’elle ne l’était au moment de sa mort. Dans ses textes, il s’attache aussi à décrire des acteurs outre-tombe. Que font-ils, là-bas ? Eh bien ils jouent aux cartes. "La seule source de lumière de cette pièce enténébrée est constituée par les ex-acteurs en personne, comme s’ils avaient absorbé l’essence de tous les sunlights braqués sur eux pendant tant d’années. Ils sont aussi éblouissants que dans leurs plus beaux films, comme si la lumière émanait de leur peau, comme s’ils irradiaient dans l’obscurité qui les enveloppe. (…) Juste des stars jouant aux cartes avec des stars. Exactement comme on aimerait que cela se passe"

par Maïa Thiriet.

Ouvrage publié avec l'aide du Centre national du livre.