Dans Gran Torino, le personnage incarné par Clint Eastwood se construit une famille sans lien de sang. Les Antillais grévistes chantent ensemble "la Guadeloupe, c’est à nous, la Guadeloupe c’est pas à eux". Obama gagne les élections car il exalte un "nous" qui transcende les particularismes. Interviewé par Nicolas Demorand ou par Ali Baddou, Régis Debray recourt à des illustrations actuelles pour réhabiliter la valeur de la fraternité. Dans son dernier ouvrage, Le moment fraternité (Gallimard, février 09), le philosophe célèbre le troisième terme qui constitue, avec la liberté et l’égalité, les "trois marches du perron suprême" selon la formule de Victor Hugo.
L’objectif est clair : Régis Debray veut sortir de son obscurité, de sa désuétude, la zone d’ombre de la devise républicaine. Blason de la sacralité laïque, cette valeur politique et morale permettrait de lutter contre l’individualisme des sociétés capitalistes.
Distinguant la fraternité de l’amitié ou de la solidarité (cette "fraternité embourgeoisée"), le philosophe propose avec la genèse d’un mot, l’histoire d’une idée : la fraternité est née avec le christianisme, dans une société de "frères en Christ" (St Paul), pour se déployer avec les combats révolutionnaires : 1793, 1830, 1848 (date de l'officialisation de la triade républicaine), 1870… Mais qu'en est-il de la fraternité aujourd’hui ? L'ancien révolutionnaire s'interroge de façon lancinante, tout en posant la question à ses contemporains.
Un pied dans la prière, une main sur le fusil ; Debray revendique pour sa valeur de cœur le double héritage guerrier et religieux… afin de mieux différencier la fraternité d’un bon sentiment édulcoré. Un "nous" à exalter, mais pas n’importe lequel : le "nous" de ceux qui luttent ensemble, dans le sang, la fête, le banquet, ou le chant
À lire :
Régis Debray, Le moment fraternité, Gallimard, février 2009.
À lire également sur nonfiction.fr :
- Régis Debray, Un candide en Terre sainte (Gallimard), par Jean G. Tiellay.