Une dépression des bilans des ménages?


Paul Krugman explique que la crise bancaire n’est pas l’aspect le plus effrayant de ce que nous vivons ces temps-ci. Nous serions en fait dans une crise des bilans des ménages, qui se sont appauvris, et non enrichis, depuis 2001, contrairement à ce que pensaient la plupart des gens. Il ne s’agit évidemment pas du facteur qui a détermine le déclenchement de la crise, mais de celui qui va la rendre plus longue et douloureuse : avec moins d’actifs (baisse du prix de l’immobilier) et plus de dettes (hausse des taux d’intérêts à l’emprunt) et une anxiété croissante, la consommation restera déprimée pour un bon moment. On sait que Grande Dépression ne s’est terminée qu’avec la seconde Guerre Mondiale, qui s’interprète économiquement du point de vue américain comme un énorme effort de dépense publique. Krugman conclut : "Dans notre cas, l’ajustement sera lent et douloureux". Partant d’une analyse similaire, Axel Leijonhufvud, en revanche, ne croit pas que la relance budgétaire puisse être suffisante.
 
Krugman base d’ailleurs son analyse de la période actuelle sur un article perspicace de James Kwak qui montre que la famille américaine moyenne a épargné pour sa retraite sous forme d’investissements immobiliers et actifs mobiliers, et ont perdu l’équivalent d’un tiers de leur valeur nette. Reconstituer une épargne va devenir le souci majeur des ménages américains, que ce soit en vue de la retraite, pour payer des études, ou comme protection contre un chômage croissant. En conséquence, la consommation sera anémique pendant plusieurs mois, voire des années.
 
Martin Wolf se utilise l’exemple japonais pour comprendre la récession actuelle, et obtient une analyse convergente avec celles de Krugman et de Kwak. Pour les Etats-Unis comme pour le Japon, la crise des bilans rend la politique monétaire inutile : il ne reste plus que la politique budgétaire, dont le Japon s’est servie pendant la "décennie perdue" pour éviter une dépression du type de celles des années 1930. Mais comme pour le Japon, le système financier est loin d’avoir été remis en état pour affronter les difficultés à venir, tandis que l’environnement international empêche de compter sur une relance par les exportations.


La révélation des prix et l’efficacité du TARP
 

James Kwak discute une proposition de Lucian Bebchuk sur la question de la révélation des prix corrects pour les actifs toxiques. En résumé, le problème est de créer un prix de marché qui convainque les banques de vendre leurs actifs. Bebchuk propose par exemple de créer non pas une mais plusieurs "mauvaises banques" qui seraient en concurrence pour acheter ces actifs, permettant de révéler un prix de marché. De l’autre côté, la concurrence entre les managers de fonds minimiserait leur demande de capitaux publics, et donc la contribution de l’Etat.



 

Protectionnisme

Wolfgang Munchau pense que l’absence de coordination européenne contre la crise fait le lit du protectionnisme. Les deux programmes principaux lancés par les gouvernements ces derniers mois, les sauvetages des banques et les plans de relance, sont implémentés au niveau national, ce qui pousse les ces deniers à maintenir l’argent dans les frontières du pays, au contraire de ce que veut promouvoir le marché unique. L’article de Jean Pisani-Ferry dans le Monde défend un argument similaire : les initiatives gouvernementales seraient en train de refragmenter les liens commerciaux et financiers entre pays. Il propose que la réunion du G20 à Londres en avril définisse un code de conduite sur lequel les pays s’engagent.

Gary Clyde Hufbauer pense qu’une Commission composée d’experts (économistes et avocats)  indépendants vis-à-vis des gouvernements ou de l’OMC, fonctionnant sur le mode de la dénonciation des pratiques protectionnistes (à l’opposé de procédures légales et règlementaires), pourrait parvenir à obliger les gouvernements à adopter les bons comportements.
 

Une synthèse des propositions pour reformer la régulation financière


Thomas Philippon a fait une synthèse de trois rapports récents portant sur la réforme de la régulation financière : Le "Rapport de Genève" (divers groupes de recherches européens), le "Rapport du G30 "(trente économistes renommés, de droite et de gauche), et le "Rapport New York University Stern " (bien résumé par Viral V. Acharya et Matthew Richardson), du nom du département de Finance de la prestigieuse université, où Philippon enseigne. L’accord est large sur le diagnostic : manqué de prise en compte du risque systémique, mesures procycliques, peu adaptées aux grands groupes financiers à structure complexe (qui souvent ne connaissent même pas eux-mêmes les risques auxquelles ils s’exposent), mauvaise gestion des horizons d’endettement. Les principes qui en découlent sont eux aussi un sujet de consensus : des règles plus strictes autour de défauts de marché bien identifiés. En revanche, quand on en arrive aux propositions concrètes, il y a davantage de désaccords, et c’est souvent assez vague. A l’échelle européenne, cette note du think-tank de centre gauche Terra nova propose un panorama de réformes concrètes s’attaquant à l’éclatement des régulateurs continentaux.


La croissance chinoise ralentira à moyen terme
 

Kenneth Rogoff, professeur à Harvard et ancien chef économiste du FMI, propose un diagnostic pessimiste pour la croissance chinoise, comparée à celle de la dernière décade. Il est peu convaincu par le plan de relance chinois, qui consiste à dépenser beaucoup en infrastructures (souvent des projets de mauvaise qualité, car rejetés en 2008 puis repêchés en 2009 à la faveur du plan de relance), dont l’Empire du Milieu commence à être suffisamment équipé. L’éducation et la santé, et la consommation privée devraient être encouragées, mais les dirigeants chinois ne semblent pas vouloir prendre ce chemin.

Ne m’appelez plus jamais nationalisation


Greg Mankiw propose une clarification nécessaire du mot “nationalisation”, tellement utilisé qu’il en a perdu son sens (Alex Tabarrok écrit un court article intéressant sur le même sujet). La plupart du temps, une procédure de banqueroute est aussi une nationalisation temporaire de facto, de courte durée, avant de revendre les actifs. Ceux qui défendent la nationalisation en ayant ce mécanisme en tête ne parlent certainement pas de la même chose que ceux qui déclarent vouloir attendre plusieurs années et le retour d’un système économique sain. Certains ont résolu la confusion en nommant le premier dispositif ‘préprivatisation’. Mais les économistes n’ont jamais été très bons pour appeler les choses par leur nom. Pour l’anecdote, Barry Ritholtz fait le compte dans les rangs des pro- et anti-nationalisation


* Traduction, adaptation : Martin Kessler