Une vingtaine de contributions donnent une vision d’ensemble de la principale enquête statistique française portant sur les relations sociales en entreprise.

Les lecteurs habitués aux publications de la DARES (Premières Synthèses et Travail et Emploi en particulier) savent que les enquêtes “Relations professionnelles et négociations d’entreprise” (REPONSE) constituent une source d’informations inégalable sur le sujet des relations sociales en entreprise au sens large. Mais ils n’avaient pas jusqu’ici le moyen d’en obtenir une vue globale et peut-être en sous-estimaient-ils encore l’importance. Grâce à ce livre, cela ne devrait plus être possible. Celui-ci offre en effet une vue très complète sur l’histoire, la méthodologie, les enjeux et les résultats des trois enquêtes qui ont été réalisées à ce jour. Il montre, à travers ses différentes contributions   , la grande diversité des situations et des pratiques, et la nécessité de prendre celle-ci en compte dans les appréciations que l’on peut porter sur l’évolution des relations sociales. Il permet également de relativiser et d’affiner de nombreuses questions.


Un dispositif complet et bien rodé

Une première partie est consacrée au dispositif des enquêtes lui-même. Elle explique comment les données sont recueillies et traitées. La première contribution établit un parallèle avec la Grande-Bretagne. L’enquête WIRS   , bien antérieure, a servi de modèle à la première enquête REPONSE. Cependant les contextes nationaux diffèrent. En Grande-Bretagne, le nombre d’établissements ayant au moins un représentant des salariés est beaucoup plus faible. De même, outre Manche, les traditions académiques sont plus portées sur les statistiques, qui sont moins fréquemment complétées par des études de cas qualitatives, explique l’auteur. La deuxième contribution revient en détail sur la genèse et les modifications apportées au cours des versions successives de l’enquête, comme le recours à l’interrogation des salariés à partir de sa deuxième édition. Il convient de saluer ses auteurs, qui ont réussi à la rendre très lisible. 
Une troisième contribution, en forme d’enquête sur l’enquête, porte sur la manière dont celle-ci est perçue par les enquêtés (représentants de la direction, représentants du personnel et salariés) d’une part, et par les enquêteurs d’autre part   .


Un contexte à prendre en considération

La deuxième partie restitue les évolutions des contextes économique, juridique et politique français pour la période des quinze dernières années que couvrent les trois enquêtes REPONSE, en cherchant à apprécier leur impact sur les relations sociales. La tertiarisation et la déconcentration productive contribuent à déstabiliser la représentation du personnel (mesurée dans l’enquête par la présence d’un représentant élu et/ou d’un délégué syndical). La concentration financière (et notamment la montée des groupes) joue en revanche en sa faveur (dans le contexte existant des relations sociales), ce qui explique que l’on enregistre une augmentation du taux d’établissements couverts, qui, à certains égards, peut paraître surprenante.



Les évolutions du cadre juridique sur la période sont ambivalentes, montrent les auteurs de cettte contribution très fouillée. Elles se traduisent par une multiplication des règles légales, impliquant des négociations pour les adapter localement, tout en cherchant, au moins pour une partie d’entre elles, à favoriser une individualisation de la relation salariale. Ces évolutions se heurtent alors au fait que les conditions pour ces négociations ne sont pas toujours réunies, malgré les tentatives pour légitimer de nouveaux acteurs, ce qui débouche sur une application très sélective.

Les auteurs du chapitre suivant reviennent sur la réduction du temps de travail, dont ils montrent, ce qui est maintenant bien connu, qu’elle a largement contribué sur la période à intensifier les relations professionnelles en entreprise, mais qu’elle peut également servir d’analyseur. Enfin, la dernière contribution, dont le lecteur appréciera la liberté de ton, fait un point sur les évolutions des organisations syndicales au cours des quinze dernières années, montrant les difficultés dans lesquelles celles-ci se débattent.


Une analyse des pratiques réelles

La troisième partie aborde véritablement le cœur du sujet. L’enquête REPONSE permet d’éclairer les pratiques réelles des représentants des salariés, entre fonctionnement institutionnel et travail de terrain, et de les croiser avec les déclarations des salariés et des directions. Elle révèle ainsi un problème structurel : le retrait des salariés par rapport au fonctionnement institutionnel, qui pose, notent les auteurs, la question de la représentativité bien au-delà de la réforme en cours.

Les auteurs de la contribution suivante, grâce à une post-enquête s’appuyant sur des monographies, proposent une typologie des relations sociales observées dans les établissements. Ils distinguent ainsi les relations marquées par des rapports d’affrontement, de domination, une tradition de négociation ou un certain pragmatisme. Et ils questionnent alors le rôle du genre dans l’évolution des relations de pouvoir, sous le triple rapport de la féminisation du salariat, de l’attention portée dans les négociations à l’égalité professionnelle et de la mixité dans les institutions représentatives et les équipes syndicales.

Une troisième contribution, également sur la base d’une post-enquête qui a articulé exploitation statistique et monographies, examine la question de l’évolution des conflits du travail. Au-delà de la grève, c’est leur caractère protéiforme (des différentes formes d’arrêt de travail, aux modes d’action collectifs sans arrêt, aussi bien qu’aux formes plus ou moins individuelles comme le refus des heures supplémentaires par exemple) qui retient l’attention des auteurs. Ils montrent que ces conflits ont connu une hausse significative entre 1996-1998 et 2004-2005. Ils pointent également que, contrairement à une idée reçue, la négociation ne réduit pas nécessairement les conflits dans l’entreprise. Cette étude a depuis donné lieu à la publication d’un livre   .



Le dernier chapitre s’interroge sur le lien entre la présence syndicale et la performance économique et financière des entreprises. Cette question, peu étudiée en France, a fait l’objet d’études empiriques nombreuses dans les pays anglo-saxons, en particulier aux États-Unis. Elles tendent à montrer que la présence syndicale conduirait à une baisse significative des profits. Ce résultat ne semble toutefois pas pouvoir être reproduit dans le contexte français, comme le montrent les auteurs qui ont apparié les données issues des enquêtes REPONSE (réarrangées au niveau entreprises) avec celles de la base de données financières DIANE. La présence d’un syndicat en France affecte bien la rentabilité économique, mais dans des proportions nettement plus faibles qu’aux États-Unis et surtout sans contrevenir à la rentabilité financière, sans qu’on sache vraiment l’expliquer.



Une articulation avec l’organisation du travail et la gestion des ressources humaines

La partie suivante s’éloigne des relations sociales proprement dites pour aborder les questions d’organisation du travail et de gestion des ressources humaines. Une première contribution, particulièrement intéressante, s’interroge sur l’influence des têtes de groupe, des donneurs d’ordres et du marché boursier sur la gestion de l’emploi des établissements et notamment sur les formes de mobilisation du travail, l’évolution des effectifs, la politique salariale et les pratiques d’implication des salariés. En résumé, le fait d’appartenir à une société cotée (c’est le cas d’un peu plus de 20% des établissements et ceux-ci emploient près de 40% de la main d’œuvre) favorise le repli sur un cœur de salariés stables mais avec des rémunérations susceptibles de varier en fonction de la demande. La position de preneur d’ordres est associée à des conditions d’emploi largement dégradées. En revanche, la position de filiale semble peu influencer la gestion de l’emploi au sein des établissements, expliquent les auteurs. Beaucoup de gens réfléchissent aujourd’hui à la relation entre financiarisation et gestion de l’emploi, parfois sans trop savoir comment prendre les choses, cet article devrait les intéresser.

Un deuxième chapitre porte sur la formation continue en entreprise et s’attache à comprendre la signification qu’il faut donner à la baisse de celle-ci entre 1999 et 2004, et à la question de savoir si les entreprises sous investissent en la matière. La réforme mise en œuvre en 2004 amènera peut-être quelque évolution sur ce plan.



La contribution qui suit offre un aperçu quantitatif sur l’adoption par les établissements de démarches compétences. Les auteurs retiennent comme premier (triple) critère : la passation régulière d’entretiens d’évaluation pour l’ensemble des salariés, l’existence d’un lien direct ou indirect entre ces évaluations et les décisions de formation et de promotion, et un effort de formation supérieur à 3% de la masse salariale. Ils croisent ensuite celui-ci avec l’usage d’un référentiel des compétences, pour faire alors le constat d’une diffusion très limitée des pratiques de gestion des compétences, qui apparaissent concentrées sur les établissements de grande taille de quelques secteurs d’activité. La prochaine version de l’enquête dira peut-être si l’obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui est devenue effective début 2008 pour les entreprises de plus de 300 salariés, est de nature à changer la donne.

La dernière contribution pour cette partie confronte des formes d’organisation du travail (qu’elle distingue, au moyen de l’analyse factorielle, selon quatre configurations en organisations apprenantes, organisations en lean production, organisations tayloriennes et organisations de structure simple) avec des modes de gestion de la main d’œuvre d’une part et des régimes de relations professionnelles d’autre part (mais pour lesquels elle ne trouve que des relations ténues).


Une analyse des politiques de rémunérations

Enfin, la dernière partie est consacrée à l’évolution des politiques de rémunération, offrant là aussi une mise en  perspective particulièrement intéressante. Au-delà d’une vision qui met parfois exclusivement l’accent sur l’individualisation et la flexibilisation, l’enquête REPONSE montre qu’une majorité d’entreprises tend aujourd’hui à privilégier des formules mixtes, mélangeant mesures collectives et individuelles, mesures réversibles ou non, que ce soit à destination des cadres ou des non cadres.

Ce qui n’empêche pas la contribution qui suit de croiser l’individualisation et la flexibilisation des rémunérations, et précisément le choix d’une différenciation en la matière entre cadres et non cadres, pour tâcher de relier alors ces différentes options et les caractéristiques des établissements qui les mettent en œuvre. Le dernier chapitre compare les systèmes de rémunération en France et en Grande-Bretagne (en utilisant pour celle-ci les données de l’enquête WERS de 2004) pour montrer, ce qui là encore peut paraître étonnant, que les pratiques incitatives aussi bien individuelles que collectives, sont plus développées en France, ce que les auteurs relient au rôle que joue la branche dans la définition de ces politiques.



L’évolution des modèles socio-productifs : vers une retaylorisation ?


Finalement, une contribution servant de conclusion traite de l’évolution des modèles socio-productifs en France depuis quinze ans. Le concept vise à regrouper l’ensemble des dimensions qui définissent la stratégie de l’entreprise, de l’organisation du travail à la régulation sociale en passant par la gestion des ressources humaines. Les auteurs dégagent au moyen de l’analyse factorielle quatre classes : contrôle simple, néo-taylorien, toyotiste et “public en transition” (le terme de public renvoie ici au fait que des normes d’ordre public ou collectivement négociées jouent un rôle important dans le fonctionnement de ces établissements). À ce niveau d’agrégation, l’étude ne permet pas de distinguer entre lean production et entreprise apprenante comme dans la contribution ci-dessus, mais rajoute cette dernière configuration, qui paraît relativement spécifique au contexte français. Sur quinze ans, on assiste alors à une montée du toyotisme, essentiellement au détriment des établissements public en transition, mais avec une situation qui se stabilise sur la dernière période (entre les deux dernières enquêtes), avec toutefois ce qui ressemble à une retaylorisation de certains établissements (à en juger cette fois selon un panel regroupant les mêmes établissements d’une enquête sur l’autre). L’enquête REPONSE permet de tester la cohérence des modèles ci-dessus (identifiés à partir des déclarations des directions) avec les déclarations des salariés, ce qui permet de les conforter. De fait, ces modèles pourraient être plus fréquemment utilisés pour donner un cadre aux analyses particulières dont les contributions précédentes, notent les auteurs, ont fourni de nombreux exemples.

L’ensemble de l’ouvrage, on l’aura compris, est sans aucun doute d’un très grand intérêt. Tout au plus le praticien non statisticien pourra-t-il parfois s’étonner de détours ou encore de simplifications qui le laisseront un peu dubitatif. Si l’on peut se permettre une suggestion, peut-être le dispositif pourrait-il être complété sur ce point par le recours à un panel de praticiens des relations sociales en entreprise, qui pourraient indiquer selon une procédure à définir quels résultats leur semblent triviaux ou au contraire les interpellent