La rencontre entre une "star du 20 heures" et ses téléspectateurs, qui devient vite un document pour les sociologues de la profession.

Au premier regard, voilà bien un objet dont tout bon chercheur devrait se détourner. Ne serait-ce qu'à cause de la couverture où le présentateur/auteur apparaît décontracté, loin du costume strict du journal de 20 heures, en chemise blanche au col déboutonné que surmonte un sourire modeste accompagné d’une main sur la nuque et d’un regard qui donnent l’impression que Pujadas s’excuse presque d’être pris en photo. On craint alors la "peopolisation", "l’infotainement", l’autobiographie mièvre, qui participe de la starisation de la société entière jusqu’à cet exemple de rigueur et de gravité que devrait être le présentateur de la grande messe du 20 heures. Il n’en est rien. Ce livre est un objet intéressant dans son ensemble et sous plusieurs angles.

En cinq chapitres, il veut faire le tour de la question du 20 heures, de son élaboration heure par heure aux rapports qu’entretiennent les journalistes avec les politiques, jusqu'à un questionnement global sur le rôle des médias dans la société. Le tout commence par une description de la journée type de David Pujadas, de son arrivée à France2 à 9 heures (en scooter précise l’auteur) à son départ, sur les coups de 21h15, avant son retour chez lui. Toutes les étapes de la production et de la présentation du 20 heures sont présentes (lecture des journaux, conférence de presse, travail sur les sujets), mais seulement du point de vue du présentateur. Le lecteur est emmené dans le quotidien de David Pujadas avec un certain plaisir, dont celui de la montée d’adrénaline avant le journal et la tension pendant celui-ci. De la même manière, la quatrième partie raconte la carrière de l’homme-tronc de France2 : on le découvre mauvais élève (l’image est revenue à la mode depuis Chagrin d’école de Pennac), rentrant à Sciences po presque par un coup de chance, faisant ses premiers sujets, émergeant à LCI avant de rejoindre le service public.

Le livre consacre alors deux parties au contenu même du journal. La première donne une vision d’ensemble des sujets et de l’importance qu’ils peuvent prendre ou ne pas prendre, et des réponses que tente d’apporter France2. David Pujadas explique alors que "chaque société à un pouls qui bat à son rythme. Les médias ne le façonnent pas. Ils le reflètent. Ils le formalisent. Ils l’alimentent aussi en retour et l’amplifient."   Pour l’auteur, l’information ne dicte pas les thèmes traités, elle les formalise et les entretient. Les événements abordés ne sont alors que le reflet de ce que la rédaction considère pouvoir intéresser son public. L’auteur donne deux critères qui orientent la sélection: "l’impact d’une décision ou d’un évènement"   et surtout "l’idée que nous nous faisons du monde"   . David Pujadas propose donc une vision de l’agenda médiatique où le 20 heures n’est qu’une part de la boucle, où l’intérêt ou le désintérêt porté à un événement n'est que le reflet d’un contexte beaucoup plus large qui intègre la culture dans son ensemble, et auquel les médias ne font que participer.

La deuxième partie sur le contenu du journal se consacre à la politique, et c’est sans doute la plus attendue. L’auteur y montre une vision loin des simplifications. Sur les pressions par exemple, il considère qu’elles sont légitimes, la question se trouvant selon lui dans la capacité des journalistes à y résister. De la même manière, David Pujadas fait de l’opinion la principale influence qui s’exerce sur les journalistes : "Que l’opinion désapprouve la guerre du Golfe (la seconde) et, subrepticement, ce sentiment transparaîtra dans les reportages. Qu’elle adoube Obama, et c’est lui qui aura les faveurs des projecteurs. Qu’elle adule ou rejette Sarkozy, et l’on verra les grands journaux influencés malgré eux (certes, toujours dans la nuance) par ces tours et détours des sondages. Les médias ne font pas l’opinion, ils auraient plutôt tendance à la suivre."   L’auteur ne fait pas du journal un simple miroir, il donne tout au long du livre beaucoup d’importance au rôle des journalistes dans la société, mais surtout il sort d’une théorie qui voudrait que les médias participent, plus ou moins en accord avec le pouvoir, à influer sur l’opinion. David Pujadas présente une problématique beaucoup plus complexe. Notamment lorsqu’il aborde, sans doute pas assez, la nouvelle loi sur l’audiovisuel public, il ne met pas tant en avant le risque de pressions que celui d’une autocensure. Finalement, avec les nominations et le financement, l’auteur fait du tempérament des journalistes leur principal moyen d’indépendance pour assurer leur rôle dans la société.

Car c’est sur cet enjeu que se conclut le livre. En deux chapitres, il expose les deux principales évolutions nécessaires selon lui au journalisme dans la société actuelle. Premièrement, sortir du conformisme qui vient du fait que les médias s’écoutent, se regardent et se lisent les uns les autres. Pour David Pujadas, c’est la routine, c’est de ne plus faire preuve de curiosité qui devient le premier ennemi du journaliste. Deuxièmement, c’est le rejet du pathos, tout en soulignant la facilité que représente le traitement des faits sous l’angle de celui qui les subit. David Pujadas explique alors, en reprenant Marcel Gauchet, qu’il "crain[t] que la tentation hégémonique du pathos dans l’information n’installe un climat propice au découragement démocratique."   C’est donc encore au courage, au tempérament, qu’en appelle l’auteur pour expliquer l’action publique en sortant de la vision de ceux qui en souffrent. L’influence des journalistes ne se trouve donc plus dans l’image d’un émetteur écrasant la masse molle des récepteurs (mais tous les journalistes sont sortis de cette vision), ni même dans le two-step flow communication de Lazarsfeld et Katz. Elle réside bien plus dans la mise en place d’un contexte auquel participent les médias, qui sont une force de conformisme et d’amplification devant toujours veiller à renouveler son angle de vue (notamment avec la contextualisation   ) et à se tourner vers des faits nouveaux. La thèse est intéressante, surtout car elle sort d’une vision linéaire pour donner une approche contextuelle où politiques, journalistes et téléspectateurs sont pris dans un même mouvement d’inter influences qui construit la perception qu’une société a d’un événement.


Trois lectures possibles

Le livre permet alors trois lectures : celle du téléspectateur du 20 heures de France2 qui veut en savoir plus sur son JT du soir ; celle des journalistes auxquels David Pujadas conseille quelques règles de travail ; et finalement les sociologues de la profession qui trouvent là un document utile pour analyser les discours que les médias ont de leur propre métier. Pour les premiers, le livre est agréable à lire et satisfera les fans du 20 heures de France2 et de son présentateur. Ils se retrouveront dans les questions qui commencent chaque chapitre et peut-être même dans les anecdotes que raconte le présentateur (comme le tag de son scooter un soir de réveillon). Ils accèdent aux coulisses, rencontrent ceux qui ne passent pas à la télévision, découvrent un David Pujadas qui devient presque un champion sportif lorsqu’il entre sur le plateau concentré et calme…

Mais ce n’est pas là que réside la part la plus intéressante du livre, mais plutôt dans la lecture de la "leçon" de journalisme que donne David Pujadas et du document qu’elle constitue pour ceux qui analysent les discours des journalistes sur leur profession. En effet, l’auteur suit toujours la même rhétorique : il part d’une question type des téléspectateurs, prend un exemple concret pour finalement en tirer une règle à suivre. Certaines d’entre elles prennent une forme très scolaire, comme par exemple lorsque David Pujadas nous explique la nécessité de "contextualiser" pour sortir de l’information négative : "Répétons-le, cela implique une dose de volontarisme car notre pente naturelle est d’ignorer ce qui marche au motif que c’est la routine."   De la même manière, les rapports avec les politiques doivent permettre une indépendance, le "tempérament" et la capacité à résister aux pressions étant des éléments fondamentaux. On peut aussi citer l’exemple de la règle sur la diffusion d’images violentes qui touche aux 10 commandements des journalistes : "Toujours lancer un avertissement explicite avant la diffusion du sujet, en particulier à destination des enfants."   le livre s’adresse donc sans doute tout autant, si ce n’est plus, aux journalistes qu’aux téléspectateurs. Notamment parce qu’il utilise les références de la profession comme celle du Watergate qui revient quatre fois sans jamais être expliqué, signe qu’elle est considérée comme connue du lecteur. L’ensemble permet alors une troisième lecture, sur la manière dont les journalistes voient et défendent leur métier.

Plusieurs pistes peuvent servir à analyser ce que Mathien, Pélissier et Rieffel appellent "les chemins de la mémoire, de l’imaginaire et de la symbolique d’une profession."   Tout d’abord, l’image qui se dégage d’un journalisme qui se fait dans une convivialité où chacun participe. David Pujadas décrit par exemple des conférences de presse à laquelle chaque journaliste est libre de participer "quel que soit son titre ou son grade"   , où "nous sommes entre nous et [où] la discussion s’engage très librement."   .

Dans le même sens, le présentateur explique qu’il ne décide pas seul de la ligne éditoriale et souligne que "Les chaînes publiques sont réputées pour privilégier la délibération collective."   Et cette pique vers TF1 n’est pas la seule puisque David Pujadas reprend un trait qui consiste pour les journalistes à gagner leur crédibilité aux dépens de celle de leurs confrères   . Par exemple avec l’audimat, dont TF1 voudrait faire une science où "le téléspectateur est supposé être un zappeur rationnel"   alors que face à lui "le service public est beaucoup moins minutieux."   Ou encore lorsque l’auteur raconte son expérience d’un reportage pour le Droit de savoir sur Bernard Tapie avorté parce que trop à charge contre l’ami de Francis Bouygues et Patrick Lelay.   Il semble difficile pour l’auteur de résister à l’envie de dire que, finalement, France2 c’est mieux que TF1. De la même manière, David Pujadas défend l’indépendance des journalistes face aux politiques en utilisant la thèse des "infiltrés" selon laquelle c’est dans les coulisses que se joue une comédie de la connivence alors que les intérêts vont forcément diverger une fois sur le plateau. Le discours que tient le livre sur le métier de journaliste ressemble alors à une histoire faite d’erreurs, personnelles comme l’affaire Juppé   , ou collectives avec 1991   ), mais aussi d’anecdotes dont les médias apprennent, et qui font grandir la profession