"Quelle crise ?" C’est la question que se pose le dernier numéro de la revue Le Débat à travers deux articles. Dans le premier, Lionel Jospin enjoint à un "retour au réel". La contribution du philosophe Paul Thibaud, ancien directeur de la revue Esprit, cherche quant à elle à comprendre "la crise que cache la crise". Il est frappant de constater à quel point le titre de ce dossier apparemment centré sur la crise financière est pertinent, tant ces deux contributions accentuent le mouvement d’oscillation entre une analyse économique et une analyse politique de la crise.

Les prises de position publiques de l’ancien Premier ministre sont assez rares pour qu’en elles-mêmes elles constituent un événement. Quand elles tentent d’appréhender la crise économique par le prisme du politique, elles méritent qu’on s’y attarde un peu. Et encore davantage quand l’auscultation de la crise financière permet d’aborder une autre crise, celle des systèmes de représentations qui innervent le politique, et notamment l’idéologie du parti socialiste. Ce texte est issu d’une conférence proposée en novembre à Louvain, mais après l’annonce par François Fillon du plan de relance lundi 2 février, la lecture qu’on peut en faire prend une coloration particulière. Contrairement à la démarche gouvernementale qu’il juge stérile   , Lionel Jospin cherche à déterminer la façon dont le politique peut répondre à la crise, de façon réaliste et durable.

Dans son article intitulé "La crise financière : retour au réel", deux crises finissent ainsi par se superposer : la crise économique, au premier plan, sous-tend les enjeux d’une autre crise ici implicite, la crise idéologique et politique que traverse notamment le premier parti de l’opposition. La problématique de l’article ressemble fort, en effet, aux points de crispation de la gauche actuelle. À l’heure de la surenchère, quand naissent le Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot et la Nouvelle Gauche de Jean-Luc Mélenchon, comment peut se positionner la tradition sociale-démocrate, incarnée par le Parti socialiste ?
Si la grande majorité de l’article élucide le processus infernal qui a conduit la sphère financière à s’éloigner de l’économie réelle, la dernière partie engage une réflexion politique sur les conséquences durables qu’impose la crise. Tout l’enjeu de l’analyse proposée par l’ancien professeur d’économie est exprimé dans la conclusion, lorsqu’il aborde le débat entre capitalisme, communisme et socialisme. Celui qui proclamait durant son mandat "L’économie de marché, oui, la société de marché, non" ne déroge pas de ses principes initiaux. Il s’agit de réduire, de contrôler, de  moraliser la sphère financière, d’harmoniser la mondialisation et de restituer son rôle à l’État, en tant qu’il demeure la seule institution représentant légitimement le peuple.  Ce "retour au réel" rappelle en somme que l’économie et sa gestion politique sont essentiellement une question de valeurs. Si le principe en est admis, reste au Parti socialiste à savoir lesquelles réaffirmer.

* Lionel Jospin, "La crise financière: retour au réel", Le Débat, janvier-février, n°153, p.30-40