Un passage en revue exhaustif de tous les aspects de la biodiversité

L'ouvrage extrêmement conséquent de Christian Lévêque, directeur de recherches à l'Institut de la recherche pour le développement (IRD), spécialiste en écologie aquatique qui s'intéresse à la diversité biologique à travers l’impact des activités humaines sur la biodiversité des fleuves et des lacs, vise à résumer l'essentiel des arguments déployés dans le champ de la biodiversité . "Biodiversité", nous explique Christian Lévêque, est un mot qui se développe de manière foudroyante à partir des années 1980, notamment dans les conventions scientifiques, les traités internationaux et discours politiques, sans que ses fondements scientifiques soient complètement établis. Du côté de la foule, des citadins, des citoyens, cela reste un terme  dont l'emploi est largement métaphorique (la définition scientifique étant peu connue). La biodiversité n'est pas une science, ni un terme d'usage dans une conversation de la vie quotidienne, pour l'instant tout au moins.



Biodiversité, victime du progrès

La biodiversité est soi-disant une "victime" du progrès dont il faudrait  prendre en considération la valeur, car cette "nature violentée", dit Christian Levêque, représente pour beaucoup le reflet de notre manque de considération morale en tant qu'espèce vis-à-vis des autres espèces, de notre égoïsme d'êtres humains.  L'homme est-il une espèce malfaisante ? Certes, mais il n'est pas que ça, et c'est pour sortir de ce discours manichéen, médiatique et volontiers catastrophiste, que l'auteur de ce livre en a entrepris l'écriture. L'évaluation des écosystèmes pour le nouveau millénaire (Millennium Ecosystem Assessment), parrainée par les Nations unies pour évaluer l'ampleur de l'action de l'homme sur les écosystèmes, a fourni un état de ces derniers à l'aube du troisième millénaire. Que peut-on en dire ? Que, globalement, l'impact des activités humaines ne cesse de croître dans les zones tropicales mais également en Europe, et qu'il nous faut changer radicalement de comportement à l'égard de la nature si nous voulons avoir une chance de survivre. Cependant, pas d'affolement nous disent aussi bien l'auteur de l'ouvrage que ceux du susdit rapport, il n'est pas possible d'être précis quant à l'ampleur du changement… et l’on n'aborde pas à quel point ce changement est également créateur de biodiversité.

Le terme de "biodiversité", contraction de "diversité biologique" a été introduit au milieu des années 1980 par des naturalistes qui s'inquiétaient de l'érosion des milieux forestiers. Rapidement entendus, une convention internationale sur la diversité biologique a été signée dans le cadre de la conférence sur le développement durable de Rio en 1992. Cette dernière définit la diversité biologique comme étant "la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres systèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes". Les scientifiques considèrent qu'il existe une triple diversité : génétique, soit la diversité de l'information génétique portée par les êtres vivants ; spécifique, soit l'ensemble des espèces ou entités du monde vivant reconnaissables ; et écosystémique, soit la diversité des écosystèmes qui est celle des communautés végétales et animales vivant sous différentes conditions climatiques et géographiques. La notion de biodiversité met l'accent sur les inter-relations entre les organismes et leur environnement à l'échelle planétaire. Et bien que l'attention se porte essentiellement sur les espèces visibles, il est bien évident que les espèces invisibles du vivant, tels les micro-organismes, jouent un rôle tout aussi majeur... Pour les industriels et les agriculteurs, la biodiversité est, avant tout, un ensemble de ressources : leur perception de la nature est utilitariste. Au point que les pays du Sud et du Nord ont essentiellement compris la convention sur la diversité biologique comme un moyen de monnayer des ressources génétiques. Pour les environnementalistes, ou tout du moins pour certains d'entre eux, la lutte pour la biodiversité est synonyme de protection et de menace des populations humaines.

À quoi sert la biodiversité ?

Outre le fait d'être un bien, puisqu'on prend en considération tous les produits issus de la biodiversité (des ressources de la pêche et de la chasse aux ressources génétiques...), la biodiversité remplit des fonctions que l'on appelle "les services écosystémiques". En effet, elle joue un rôle fondamental dans la régulation des grands cycles biogéochimiques mais remplit également des services esthétiques, culturels... Cependant, il ne faut pas oublier que la nature vivante végétale et animale dérange aussi : outre les maladies dont des espèces animales se font les vecteurs, certaines espèces renvoient à un imaginaire plutôt sombre (insectes de toutes sortes....). Quant à la menace qui pèse sur elles, s'il est incontestable, semble t-il, qu'elle soit bien réelle, elle ne semble cependant pas très bien analysée puisque l'on se focalise essentiellement sur des espèces charismatiques aux dépens, encore une fois, des espèces invisibles.

 

Quels sont les moyens de protéger la biodiversité ?

Sur le plan juridique, la biodiversité renvoie à des éléments isolés, tels la végétation ou certaines populations animales. De ce fait, il est difficile de la protéger en tant que totalité inter-reliée. Comment protéger aussi bien les éléphants que les bactéries ? Ce qui conduit à la question suivante : comment explique t-on les transformations à l'œuvre dans cette biosphère ?
Adaptation, hasard et nécessité, c'est à dire des phénomènes qu'on peut expliquer comme d'autres qu'on ne peut expliquer, gouvernent l'évolution ; en effet, on ne peut réduire cette dernière à un phénomène entièrement déterminé. Il s'agit de comprendre l'évolution comme une interrogation aux fondements biologiques, mais aussi culturels au sens de quoi sommes-nous, nous êtres humains, capables ? Ne serait-ce que l'adaptation - que l'on peut définir comme l'acquisition de caractéristiques morphologiques ou comportementales transmissibles par les gènes et qui favorisent la survie de l'espèce dans un environnement donné - est un véritable bricolage. D'ailleurs, la théorie de l'évolution de Darwin, émise en 1859, profondément remaniée par la suite, renvoie aujourd'hui à la théorie synthétique de l'évolution élaborée dans les années 1930-1940. Cette dernière représente une synthèse des connaissances en génétique et de la théorie de la sélection naturelle. Une autre fausse idée dit qu'un système qui fonctionne bien est un système riche en espèces. Or, ce n'est absolument pas démontré. La disparition d'une espèce est-elle une catastrophe ? Il est difficile de répondre à cette question dans la mesure où, historiquement, de nombreuses espèces ont disparu sans que cela empêche la terre de tourner. En outre, le changement est depuis tous temps le moteur par excellence de la diversification des espèces. La nature ne fait ni bien ni mal les choses, en dépit de ce que certains environnementalistes aimeraient penser. Certes, l'on peut militer en faveur de la conservation de la biodiversité mais l'on ne peut ignorer à quel point nos connaissances en la matière, en particulier sur le monde des micro-organismes, sur le mutualisme, la symbiose et autres mécanismes de collaboration des êtres vivants, sont peu élaborées. De quoi parle t-on quand on parle de mettre de l'ordre dans la nature ? Souvent l'on parle d'équilibre dynamique ; de la sorte, on n'abandonne pas l'idée d'équilibre en écologie mais l'on accepte le fait  que les perturbations puissent bouleverser cet équilibre et en transformer les conditions ; c'est ainsi que l'on parle de résilience des écosystèmes pour traduire l'idée qu'ils puissent retrouver après un choc, leur état d'origine. Dans les faits, l'une des rares lois qui semble se vérifier est la relation aires-espèces, à savoir, le rapport entre la taille d'une zone et le nombre d'espèces qui s'y trouvent présentes.

Du côté des sciences sociales, comment envisage t-on la problématique de la biodiversité ?

Les rapports des êtres humains à la nature sont difficiles et controversés depuis longtemps. Le terme de nature ne peut être que prétexte à conflits, disent les sociologues qui décrivent les manières dont des groupes plus ou moins puissants s'en approprient l'usage, ou tout du moins, prétextent à discussion quant à sa réalité. Il n'empêche que cette catégorie est fondatrice de nombre de manières de penser, et l'enjeu aujourd'hui pour des théoriciens de l'anthropologie comme Philippe Descola   ou encore des théoriciens de l'esthétique comme Jean-Marie Schaeffer   semble être dans le dépassement des frontières nature/culture, homme/animal, à l'origine de la construction de l'idée de nature. Outre la sphère intellectuelle, l'on voit se modifier les rapports à la nature chez tout à chacun : il s'agit maintenant d’essayer de rendre harmonieux ces rapports ou, tout au moins, de maîtriser leur dynamique alors qu'on ne parlait avant que de domestication, de dressage et de sujétion du monde vivant. Cependant, la peur de la nature demeure... L'homme chasseur-cueilleur et nomade est devenu un sédentaire engagé dans la longue aventure de la domestication. Le passage, il y a environ 10 000 ans,  d'une civilisation de chasseurs-cueilleurs à une civilisation de sédentaires agricoles a bouleversé profondément nos rapports à la nature. La manipulation du vivant au niveau génétique constitue probablement une nouvelle étape de ce rapport au vivant qui n'a cessé d'être fait de dressages et d'exploitations. Cependant, les rapports éthiques au vivant se modifient progressivement et la notion de bien-être animal, promulguée par l'Union européenne depuis les années 1980, envahit les élevages. De quelle nature pourrions-nous vouloir ? S'agirait-il d'un "jardin planétaire" (telle est l'expression utilisée par Gilles Clément) qui regarde la mondialisation sous l'angle de la diversité des pratiques et des êtres ? Car la manière dont on s'approprie la biodiversité, et dont elle finit par être traitée, est une véritable question sociale comme le rappelle l'auteur citant André Micoud sociologue : "La biodiversité, ce n'est pas la diversité du vivant, c'est la diversité des formes sociales du rapport au vivant, en ce que chacune de ces formes participe différemment à l'augmentation où à la diminution de la diversité du vivant à l'intérieur d'une société donnée."