Ce petit ouvrage instructif se penche sur les rapports entre femme et politique notamment grâce à des témoignages vivants.

Qu’une femme ait l’ambition d’exercer le pouvoir ne devrait plus être susceptible de choquer nos contemporains : la candidature de Ségolène Royal en 2007 à la présidence de la République en témoigne. On pourrait trouver, en France comme à l’étranger, beaucoup d’autres exemples de femmes ayant exercé ou exerçant encore actuellement des responsabilités politiques au plus haut niveau de l’État et les noms de Margaret Thatcher, Benazir Bhutto ou Angela Merkel nous sont désormais familiers. Mais ces figures exemplaires ne sont-elles pas des exceptions qui confirment une règle trop longtemps considérée comme universelle : les femmes sont exclues de la vie publique, et par conséquent de la sphère politique ?


Vingt-deux portraits de "femmes politiques" contemporaines

Fin août 2007 une série de cinq émissions, diffusées sur France Culture dans le cadre du programme "La Fabrique de l’Histoire", revenait sur cette question et s’interrogeait : quelle est la place des femmes dans le monde politique français depuis 1945 ? Le livre de Séverine Liatard se présente comme la version écrite de cette série d’émission, plus détaillée et plus argumentée. L’auteur y dresse vingt-deux portraits de femmes dont le seul point commun est d’avoir exercé des responsabilités politiques en France depuis 1945. Le panel est vaste : l’auteur a en effet interviewé aussi bien des "pionnières"-   que des femmes politiques plus jeunes, nées dans les années 1960-1970 et élevées dans un contexte favorable à l’émancipation des femmes. Notons également que l’ensemble de l’échiquier politique est représenté dans ce livre, puisqu’on y trouve des sensibilités aussi bien communistes et de gauche   que de droite voire d’extrême-droite   . Ces vingt-deux courts chapitres biographiques sont précédés par une introduction intitulée "la lente féminisation des institutions politiques en France" qui reprend les principales questions posées aux "femmes politiques" au cours de ces entretiens : comment sont-elles entrées en politique, quel est leur éventuel sentiment de marginalité par rapport aux hommes politiques, leur opinion sur le féminisme et la parité ou la difficulté qu’elles ont à concilier vie publique et vie privée.


Au pouvoir citoyennes… : la lente féminisation des institutions politiques françaises

Comme l’auteur, il importe de commencer par un bref historique concernant le rapport des femmes à la politique en France. Comme le dit Séverine Liatard, la politique est, en France encore plus qu’ailleurs, une affaire d’homme   . L’exclusion des femmes du politique s’explique par le poids des traditions et des mentalités.

Elle tient aussi à des faits historiques précis : rappelons qu’au XIVe siècle, la loi salique, réinterprétée à l’occasion d’une crise dynastique   , exclut les femmes de la succession au trône de France, et que la Constitution de 1793 n’accorde le suffrage universel qu’aux citoyens, excluant les femmes de l’exercice de la citoyenneté. Malgré l’émergence de courants de pensée favorables à l’émancipation des femmes, le XIXe siècle, qui voit la naissance des "féminismes", n’en est pas pour autant "le siècle des femmes". Ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle que le monde politique s’ouvre aux femmes en France : à la Libération, avec l’ordonnance de 1944 qui donne aux femmes le droit de vote et d’éligibilité, certaines femmes – pour la plupart des Résistantes- accèdent à des responsabilités importantes. Cependant cette embellie est de courte durée : la Ve République gaullienne se marque par un retour au temps de la politique "virile" et ce n’est que progressivement, à partir des années 1970 et dans un contexte marqué par un bouleversement des mentalités et des mœurs, tout comme par les combats du Mouvement de libération des femmes (MLF) que la féminisation du pouvoir s’amorce réellement, à gauche comme à droite   . Il convient de rappeler quelques avancées significatives : la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, premier chef d’État à se préoccuper de l’accès des femmes au pouvoir, la politique de François Mitterrand et du parti socialiste dans les années 1980 où s’illustrèrent des militantes telles Édith Cresson, Catherine Trautmann et Yvette Roudy. Il faut également avoir en tête un épisode marquant, celui des "juppettes" en 1995   qui a pour effet de mobiliser les femmes politiques quelque soit leur appartenance. De cette affaire naît le "Manifeste des dix" publié dans L’Express en juin 1996, appelant les partis politiques à s’engager dans la voie de la parité. Il sera entendu puisque les lois de 2000 et 2007 sur la parité contraignent désormais les partis politiques à présenter un nombre égal de femmes et d’hommes pour les élections se déroulant au scrutin de liste : régionales, municipales, sénatoriales et européennes.   . Malgré ces mesures de "discrimination positive", très critiquées, parfois même par des "femmes politiques" telle Michèle Alliot-Marie, les femmes ne représentent aujourd’hui qu’une part marginale du personnel politique : elles étaient 12,3 % à l’Assemblée nationale en 2002, elles représentent à peine 20 % depuis les législatives de juin 2007.  


Défis et enjeux d’une carrière politique au féminin

Une fois ce cadre posé, il est possible de s’intéresser aux expériences individuelles des vingt-deux femmes politiques interrogées. Certains thèmes reviennent comme des leitmotive au fils des entretiens, comme la précocité de l’engagement politique tout d’abord, puis l’importance du "milieu" dans lequel ont grandi ces "femmes politiques". En dépit de la diversité de leurs origines sociales et de leurs parcours scolaires et professionnels, elles sont unanimes à rappeler que la politique chez elles était une "affaire de famille". Lorsqu’elles n’ont pas été sensibilisées très jeunes par leur père ou un autre membre de la famille -Françoise Gaspard, Fabienne Keller- elles évoquent volontiers le rôle décisif du mari -Marcelle Devaud- ou d’amis -Simone Veil, Édith Cresson- dans la volonté d’entrer en politique. Deuxième thème récurrent : celui de la difficulté de concilier vie publique et vie privée   . Dans un monde où le soin des enfants et les tâches domestiques sont encore majoritairement confiés aux femmes, comment pourraient-elles trouver le temps nécessaire à l’action politique, alors que celle-ci se fait, comme le rappellent certaines, le soir et le week-end, soit à des moments normalement réservés à la famille et aux loisirs ? Les femmes politiques sont ainsi amenées à organiser leur emploi du temps de la façon la plus rationnelle possible, évitant au maximum de perdre leur temps et recherchant l’efficacité   . Pour la garde des enfants, elles font souvent appel à des tiers. Certaines règlent la question en vivant seules ou divorcées, mais la plupart déclarent mener au contraire des vies de couple et de famille équilibrées et harmonieuses. Certaines s’interrogent parfois : la politique vaut-elle vraiment la peine qu’on lui sacrifie sa vie familiale ?

Quittons la sphère de la vie privée des femmes politiques et venons-en à des considérations plus générales. Une des questions posée par Séverine Liatard est celle de la confrontation des femmes politiques à un univers très masculin. Il s’agit d’une question qui semble avoir touché la plupart des personnalités interrogées. L’enjeu pour les femmes est en effet de s’imposer dans un milieu réservé par tradition à des hommes jaloux de leurs prérogatives et qui considèrent que : "un poste donné à une femme, c’est un poste en moins pour un homme"   . Les hommes politiques ont en effet développé des pratiques de sociabilité qui leur sont propres, sortes de "fratriarcats" dont les codes et les usages excluent les femmes.

Prenons l’exemple de la voix. Les femmes ont, par nature, une voix moins forte et peinent de ce fait à se faire entendre quand elles montent à la tribune dans les assemblées : Édith Cresson se souvient que ses collègues masculins l’accusaient d’avoir fait faire un micro exprès pour elle !   . Ne parlons même pas du langage employé par les hommes politiques, très codé et parfois fortement misogyne.   Plusieurs femmes politiques témoignent des humiliations et des affronts qu’elles ont subis au cours de leur carrière : les insultes qu’a dû supporter Simone Veil alors que, ministre de la Santé, elle défendait le projet de loi pour la légalisation de l’avortement en 1974, sont tristement célèbres. Édith Cresson se souvient également de l’acharnement mis par les journalistes et les médias à la juger d’après son physique   . Il faut néanmoins nuancer ces cas extrêmes : la misogynie des hommes politiques ne semble pas avoir été un obstacle à la carrière des femmes politiques françaises. Le livre montre qu’une collaboration fructueuse entre hommes et femmes politiques est tout à fait possible. Ces dernières ne sont pas démunies contre la misogynie ambiante du milieu politique et certaines se sont servies de leur engagement en faveur du féminisme comme d’une arme.  

Abordons une dernière question souvent évoquée dans l’ouvrage de Séverine Liatard, celui de la spécificité de l’action politique féminine. Les femmes font-elles de la politique comme les hommes et leur action a-t-elle des caractéristiques propres ? En effet, l’ancien préjugé qui considérait les femmes comme inaptes à l’exercice du pouvoir, tant sur le plan physique -les femmes seraient plus "fragiles"- que sur le plan intellectuel -les femmes seraient moins "éduquées" que les hommes- semble, à la fin du XXe siècle, avoir perdu toutes ses raisons d’être. Reste cependant à savoir si les femmes sont parvenues à imposer une manière de faire de la politique différente de celle des hommes ou si elles se sont simplement calquées sur des modèles mis en place par ceux-ci. Sur ce point, l’avis des femmes politiques est partagé, certaines estimant que les femmes apportent une "touche" particulière à l’action politique   d’autre pensant au contraire que les femmes agissent avec les mêmes qualités et les mêmes défauts que leurs homologues masculins.

Concluons en rappelant que la place des femmes dans le monde politique est encore marginale et que l’expression "femmes politiques" dont Séverine Liatard fait usage n’est pas encore passée dans le langage courant. Même si les électeurs et le personnel dirigeant semblent désormais habitués à voir des femmes actrices de la politique française, il faut rappeler que les acquis du XXe siècle dans ce domaine sont à protéger au prix d’un combat quotidien   . Ce petit livre, très instructif et facile à lire, concis et précis, a le mérite de nous le rappeler tout en incitant à réfléchir de façon plus générale sur la place des femmes en politique