Der Angriff (L’Attaque) est disponible dans les kiosques allemands depuis jeudi 8 janvier 2009. Disons plutôt : "À nouveau disponible". Rappelez-vous : Der Angriff a fait sa première, sa "vraie" apparition au début des années 1930, concrétisant un projet de Joseph Goebbels… ministre de la propagande du Reichsführer Adolf Hitler.

Le responsable de ce retour sur la scène – et sous les yeux d’un public potentiel large et aux mentalités diverses – d’un journal nazi est un nouveau venu dans le panorama de la presse allemande : Zeitungszeugen   , magazine d’histoire hebdomadaire, tiré à 300 000 exemplaires, qui proposera tous les jeudis, moyennant 3,90 euros, trois fac-similés de journaux allemands parus dans les années 1930-1940. Ces documents d’époque ne seront pas livrés tels quels : ils sont pensés comme supports d’une réflexion historique, sociologique et scientifique. A ce titre, ils seront accompagnés de mises en contexte et d’analyses de fond, menées par une équipe de penseurs et de chercheurs dont la réputation n’est plus à faire. Presse Portal revient en détails sur la constitution sérieuse de cette équipe.

"Il est trop facile de jeter le livret explicatif et de ne garder que le journal nazi." C’est par cette phrase que Stephan Kramer, secrétaire général du Conseil central des Juifs d’Allemagne, exprime sa réticence face à la fenêtre d’exposition qu’offrent les éditions britanniques Albertas Limited à des documents qui ne manqueront pas de réjouir les groupuscules néo-nazis. Pour la première fois, des journaux du Troisième Reich font l’objet d’une réimpression complète. L’équipe de Zeitungszeugen en fait une fierté et porte la nouvelle en grosses lettres sur la couverture de son premier numéro. Du côté des détracteurs, on dénonce un pari trop optimiste sur la force de l’esprit critique du lectorat. "Cela ne va pas contribuer à une prise de conscience historique mais seulement permettre aux sympathisants nazis de se procurer facilement les journaux de l’époque.", estime M. Kramer, qui rappelle le contenu anticonstitutionnel, car fortement antisémite, dont regorgent ces journaux d’époque. En France, le CRIF (Conseil représentatif des Institutions juives de France) tire sur les mêmes ficelles pour actionner la sonnette d’alarme. Mais le lectorat allemand semble plus disposé à ouvrir les yeux que les oreilles : Zeitungszeugen, dont des versions similaires ont fait leurs preuves dans d’autres kiosques d’Europe   , enregistre un accueil plutôt positif selon le reportage vidéo du Frankfurter Allgemeine Zeitung.



La presse allemande, elle, reste divisée. Si des publications comme le Peiner Allgemeine Zeitung critiquent le calcul commercial, jugeant que "Hitler fait mieux vendre que le sexe", certains journaux, comme le Süddeutsche Zeitung, accordent une vraie légitimité aux arguments de Peter McGee, l’éditeur qui a porté le projet : plus d’un demi-siècle après la fin du régime nazi, il peut sembler judicieux d’opérer un retour aux sources de la catastrophe politique nazie, documents d’origine à l’appui. Pour sa défense, Peter McGee souligne l’importance de l’accès à une information brute, même si celle-ci porte la marque de l’antisémitisme. Il souligne encore que, parmi les trois journaux d’époque proposés, Der Angriff (nazi) est confronté aux points de vue critique du journal communiste Der Kämpfer, dont le rédacteur en chef, Fritz Klein, appelle à résister à la dictature. Le Deutsche Allgemeine Zeitung, quotidien conservateur, offre une troisième perspective journalistique.

L’historien, aussi peu expert soit-il, est alors en droit de se demander ce que deviendra ce respect de la diversité des opinions lorsque, dans la chronologie, la dictature aura mangé la liberté d’expression et servira de la propagande, rien que de la propagande. Peter McGee balaye la critique. Zeitungszeugen continuera de livrer, pour la période concernée, Der Angriff, mais avec de nouvelles contrebalances : journaux étrangers et articles d’opposition au régime nazi par des exilés allemands.
Sandra Paweronschitz, rédactrice en chef du magazine et historienne réputée, attire encore l’attention sur la richesse inouïe que représentent les fac-similés pour nourrir l’analyse historique : caricatures et articles antisémites sont bel et bien présents, mais ils apparaissent mêlés au reste des événements de l’époque et permettent donc de prendre une température plus juste des dispositions psychologiques qui ont poussées à accepter ou refuser la vague hitlérienne 


*À lire également :


- Le point de vue ouvert du Frankfurter Allgemeine Zeitung :

- France 24 livre différentes réactions :

- Le site du journal Zeitungszeugen