Une biographie décevante qui retrace le parcours exceptionnel de l'homme politique italien surnommé l' "inoxydable".

C'est une légende de la politique italienne. Plus de 60 ans de carrière, sept fois président du Conseil italien, ministre à vingt-et-une reprises, député de 1946 à 1991, date à laquelle il a été nommé sénateur à vie : Giulio Andreotti mérite bien son surnom d'"inoxydable".

Avant Andreotti. La vita di un uomo politico, la storia di un'epoca ("Andreotti. La vie d'un homme politique, l'histoire d'une époque"), le journaliste du Corriere della Sera Massimo Franco avait déjà écrit une biographie sur l'homme politique italien. Andreotti visto da vicino ("Andreotti vu de près", 1989) a même servi de base à l'écriture d'Il divo, le film de Paolo Sorrentino (sortie prévue le 31 décembre 2008 en France). Une œuvre pourtant durement critiquée par Massimo Franco qui y voit un film à charge contre Andreotti. Tout au long de son dernier ouvrage, le journaliste se montre pour sa part particulièrement magnanime envers l'ex-président du Conseil. Le fait d'articuler cette biographie autour de papiers personnels qu'Andreotti a récemment choisi de mettre à la disposition des chercheurs aura peut-être provoqué cette complaisance malvenue.


 
"Collaboration" avec le Vatican
 
Massimo Franco parvient néanmoins à faire ressentir l'extraordinaire destin de cet homme aux multiples facettes. Le portrait de l'Andreotti "homme du Vatican" est à ce propos particulièrement intéressant. Le journaliste montre parfaitement comment l'action et l'attitude de celui qui a connu sept papes s'inspirent presque souvent de sa foi catholique. Andreotti est un "cardinal placé à l'extérieur" de la curie   , déclare le journaliste. Une affirmation à nuancer puisque Massimo Franco évoque lui-même les tensions qui ont pu exister, notamment au cours des années 70 quand Andreotti mène sa politique en concertation avec le Parti communiste. Reste que cet homme profondément religieux, "dont personne n'aurait été étonné s'il était devenu prêtre"   , fait la plupart du temps la politique – conservatrice – souhaitée par le Saint-Siège. Une "collaboration" qui a commencé sous le régime fasciste, quand Andreotti rejoint la Fédération universitaire catholique italienne. Il en devient même le président de 1942 à 1944, succédant à l'un de ses futurs adversaires au sein de la Démocratie chrétienne, Aldo Moro. Il agit alors comme modérateur, freinant les aspirations révolutionnaires d'une partie des jeunes catholiques, le tout sous le regard bienveillant du controversé Pie XII. Près de 50 ans plus tard, l'entente entre Andreotti et le Vatican ira même jusqu'au soutien public de Jean-Paul II à l'homme politique rattrapé alors par la justice.
 


Andreotti, le "tueur"
 
Préférant néanmoins la politique à une carrière sacerdotale, Andreotti adhère, dès la fin du conflit mondial, à la Démocratie chrétienne. C'est là qu'il se lie d'amitié avec le plus grand homme d'État italien d'après-guerre, un des pères de l'Europe, Alcide De Gasperi. 1947 est à ce niveau une année charnière dans la carrière du jeune homme politique qui devient, à 28 ans seulement, sous-secrétaire à la présidence du Conseil des ministres, soit le bras droit de De Gasperi, poste de pouvoir qu'il occupe jusqu'au retrait de son mentor en 1954. Cette nomination lance sa carrière nationale… tout comme sa réputation d'homme discret, cynique, voire dangereux. Ce nouveau type d'animal au sang froid réussit, à peine arrivé, à se faire détester par une grande partie de la Démocratie chrétienne qui abhorre ses manières et son ascension vertigineuse. Pour beaucoup, la fin de l'ère De Gasperi doit également sonner la mort politique d'Andreotti. Comme souvent, l'homme se retrouve alors isolé. Comme toujours, il s'en sort.

 

 

Tout au long de son ouvrage, Massimo Franco dessine en effet le portrait d'un leader qui sait manœuvrer mieux que quiconque dans les bas-fonds de la vie politique italienne. Les années 60 et 70 constituent, dans ce domaine, un chef-d'œuvre. Contre une entente avec les socialistes puis avec les communistes, Andreotti accepte ces orientations tout en parvenant à se maintenir au pouvoir et à appliquer beaucoup de ses idées. C'est cette capacité d'adaptation qui lui permet d'être encore président du Conseil dans les années 80. L'homme est alors plus que jamais admiré… et craint. Car Andreotti est sans aucun doute un vrai "tueur". Tous ses adversaires ont pensé venir à bout de cet homme chétif, bossu et parlant peu. Résultat : du démocrate chrétien Amintore Fanfani au socialiste Benedetto Craxi, chacun a échoué dans son combat contre l' "inoxydable".
 
Les luttes se sont parfois terminées tragiquement, à l'exemple d'Aldo Moro. Le 16 mars 1978, le président de la Démocratie chrétienne est enlevé par les Brigades rouges alors que les députés doivent approuver la formation du nouveau gouvernement Andreotti, soutenu pour la première fois par les communistes. Abattu par ses ravisseurs deux mois plus tard, Moro a été de toute évidence abandonné par Andreotti, le PCI et la Démocratie chrétienne qui ont refusé la négociation. Souvent critiqué pour cette prise de position, Andreotti a même été plus tard mis directement en cause dans l'assassinat. La biographie ne nous apprend cependant rien de plus sur le sujet, Massimo Franco ne consacrant que… deux pages à l'un des moments-clefs de l'Italie contemporaine et l'un des événements qui obscurcissent la carrière d'Andreotti. Comme souvent dans son livre, le journaliste préfère le pathos – ici le récit des vomissements d'Andreotti à l'annonce du rapt de Moro – à l'analyse historique et politique.
 


Vainqueur de la justice
 
Ce parti pris apparaît également lorsqu'il s'agit d'aborder les ennuis judiciaires d'Andreotti. Malgré la sentence finale, en 2003, de la justice italienne, Massimo Franco n'affirme jamais explicitement la faute d'un des plus importants hommes d'État italiens, reconnu coupable d'association de malfaiteurs avec la mafia sicilienne de Cosa Nostra. Franco préfère mettre en avant le principe de prescription, les faits étant antérieurs aux années 80 au moment du verdict.
 
Le journaliste décrit en revanche brillamment la victoire incroyable d'Andreotti sur la justice italienne lors des procès. Poursuivi dans les années 90 pour ses liens supposés avec la mafia, Andreotti se retrouve en même temps dans le viseur des juges pour son implication supposée dans le meurtre du journaliste Carmine Pecorelli, tué en 1979 alors qu'il enquêtait sur la mort d'Aldo Moro et la pègre. L'homme politique respecté devient honni par tout un peuple. Il parvient pourtant à retourner la situation. Sur le banc des accusés, Andreotti sort pour la première fois de ses gonds, parle d'un complot fomenté par les "rouges" et déplore la trahison de ses amis qui l'ont abandonné. La longueur des procédures (plus de dix ans) et la maladresse de la justice pour prouver la culpabilité de l'accusé font le reste. Andreotti devient une victime aux yeux de l'opinion et c'est presque le soulagement qui prévaut lorsqu'il est relaxé pour le meurtre de Pecorelli, tout comme quand la prescription l'empêche d'aller en prison. Au final Andreotti est bien reconnu coupable mais c'est aussi lui le vainqueur.

 

 

Cette victoire a néanmoins un prix. Débarrassé de ses soucis judiciaires, l' "inoxydable" n'a plus la possibilité de revenir sur le devant de la scène politique, à l'image de sa tentative ratée de devenir président du Sénat, en 2006. Les procès l'ont écarté du pouvoir, un monde qui a dans le même temps radicalement changé. Andreotti, pilier de la Première République italienne, ne parvient jamais s'adapter à ce nouvel univers où la forme prévaut désormais sur le fond. Son mépris pour l'exubérant Berlusconi est à ce titre symbolique. Massimo Franco peint un Andreotti raillant dès qu'il le peut cet entrepreneur arrivé au sommet. De manière presque pathétique, le vieux sénateur se targue encore aujourd'hui de n'avoir jamais voté pour le Cavaliere. Les critiques sont presque tout aussi acerbes pour la gauche, notamment envers le "professeur" Romano Prodi, coupable d'avoir contribué, lui aussi, selon le vieux sénateur, au triomphe de l'apolitisme en Italie.
 
C'est au final toute la classe politique de la Deuxième République qui lui apparaît comme venue d'une autre planète. Les longues – et inutiles – descriptions de la vie actuelle de la famille Andreotti, utilisées par Massimo Franco pour conclure sa biographie, prouvent que l'homme politique appartient bien désormais au passé. Giulio Andreotti sera néanmoins parvenu à garder son mystère et à devenir un mythe de son vivant. Difficile de dire encore aujourd'hui qui il est vraiment. Massimo Franco, comme d'autres, n'est pas parvenu à résoudre l'énigme. Andreotti garde l'image d'un dirigeant presque impossible à décrire. Le symbole, diront certains, du monde politique italien