Dans un article de la New York Review of Books, Jonathan Freedland, éditorialiste politique du quotidien britannique The Guardian, s’intéresse au nouveau Premier ministre britannique. Avisé, il dresse un portrait sans concession, mais néanmoins positif, du premier ministre britannique.


Brown l’intellectuel

Revenant sur la passation de pouvoir du 27 juin 2007, Freedland différencie un Gordon Brown taciturne, aux antipodes des formes les plus précaires de télégénie, d’un Tony Blair tout sourire, à l’aise face au public, chicanant grâce à un habile talent d’orateur. Et Freedland de souligner le succès des premiers mois de Brown au 10 Downing Street, alors que Brown avait dû faire face à une succession de crises. Dans un premier ouvrage (Gordon Brown, Prime Minister), Tom Bower, connu pour ses descentes en règle des personnalités passant au crible de sa plume, souligne le caractère outrageux, chaotique, et menaçant de Gordon Brown. En ce qui concerne ses compétences, le bilan est tout aussi catastrophique, puisque l’actuel Premier ministre serait un maniaque à la mégalomanie coûteuse, déterminé à tout contrôler dans les moindres détails. Freedland, lui, rappelle d’emblée le bilan économique extrêmement positif de Brown alors qu’il était chancelier de l’échiquier de 1997 à 2007, ainsi qu’un bilan social conséquent – 600 000 enfants sortis de la pauvreté –, insistant sur l’achèvement majeur de Brown : avoir su débarrasser le Labour d’une réputation de mauvais gestionnaire. Quant aux sources sur lesquelles s’appuie Bower, elles auraient toutes au moins une dent contre Brown.

Freedland s’étend ensuite sur l’enfance de Brown, son altruisme, ses études brillantes, l’accident qui lui coûta un œil et l’incapacité de sourire sans se défigurer ; premier élément de la comparaison Blair-Brown. Celle-ci s’étend ensuite sur les caractères des deux hommes. Au Blair "people", il oppose Brown l’intellectuel, docteur en histoire doté d’un goût quasi-excessif pour la minutie et la précision. Commentant ses discours   , Freedland rappelle que Brown pouvait travailler sur un simple discours des mois durant. Parsemés de jargon technocratique, les thèmes de Brown sont clairs : réduire la pauvreté, définir un domaine public non limité aux transactions, protéger la Grande-Bretagne de la mondialisation, et définir une identité britannique capable de survivre à l’appétit autonomiste de l’Ecosse, du pays de Galle, ou même de l’Angleterre.


Du courage de Mister Brown

Le dernier ouvrage est signé Gordon Brown lui-même. Courage rassemble les biographies de huit personnalités parmi lesquelles Martin Luther King, Nelson Mandela ou Aung San Suu Kyi. Pour Freedland, aucun homme politique, depuis Churchill, n’a écrit aussi bien que Brown dans Courage. Mais plus que ces huit portraits, Freedland y voit un neuvième, en filigrane, celui de Brown, dont l’ombre plane sur chaque page – toute la question étant de savoir si Brown a véritablement du courage.

D’après Freedman, Brown tenait Blair entre ses mains lors de l’entrée en guerre des Britanniques aux côtés des Etats-Unis en Irak. En somme, Brown aurait pu faire chuter Blair, privant les Etats-Unis de leur principal allié, et peut-être ainsi remettre en cause l’ensemble de l’intervention en Irak. Mais il ne le fit pas. En 2004, lors des affaires Abu Ghraib et Hutton, une nouvelle occasion de faire chuter Blair se présenta, mais il lança ses proches à l’aide du premier ministre. Il pourrait soumettre au vote populaire le traité européen, mais décide de ne pas prendre ce risque. Brown aurait-il, dans le futur, le courage de rester ferme face à l’administration Bush dans l’éventualité d’une action militaire contre l’Iran ?

Si Brown a su faire aux crises ayant succédé à son entrée en fonction, s’il parvint à changer les habitudes de gouvernement, laissant de côté le spin et revalorisant les membres du cabinet (notamment en rajeunissant ce dernier) l’article de Freedland (qui semble avoir été écrit avant que Brown n’annule la possibilité d’élections anticipées) amène le lecteur à s’interroger.  PEt si le mot-clé pour définir Gordon Brown, ce n’était pas le courage, mais, à l’inverse, la prudence ?


Jonathan Freedland, "Who Is Gordon Brown ?", New York Review of Books, Volume 54, numéro 16, 25 octobre 2007