Une biographie du médiatique terroriste qui propose de revenir sur son passé connu et inconnu, sans toutefois cerner le personnage.

Des lettres rouges sur un portrait avenant avec un bout d’avion encore visible, voici Oussama Ben Laden, le terroriste le plus célèbre du monde. La couverture un peu tape-à-l’œil, rappelle les portraits peints à la gloire de l’ancien dictateur irakien Saddam Hussein ou ceux des saints chiites du Hezbollah libanais. C’est un paradoxe lorsqu’on sait que le terroriste sunnite a toujours honni les chiites et qu’il n’a aucun lien avec le régime laïc du dictateur arabe. Ian Hamel, auteur de cette biographie consacrée à Oussama Ben Laden, est journaliste au journal dominical romand Matin Dimanche et à l’hebdomadaire français Le Point. Il est spécialiste du terrorisme et des services secrets. Il a d’ailleurs associé à sa préface Alain Chouet, un ancien responsable à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Avec L'énigme Oussama Ben Laden, Ian Hamel propose sans surprise une enquête de type journalistique recoupant plus souvent des contributions diverses et des articles de presse, ainsi que les précédentes biographies qui ont été consacrées à Oussama Ben Laden. Parfois, l’auteur y ajoute des récits de ses propres voyages au Yémen ou en Afghanistan. Il puise aussi ses sources de ses entretiens avec des spécialistes du terrorisme, ainsi qu’avec des personnes qui auraient connu le célèbre terroriste.
Le lecteur peut-il ainsi espérer en avoir pour son argent et en apprendre plus sur Oussama Ben Laden, l’un des hommes les plus recherchés au monde ? Il faut déjà relativiser cet espoir, car le titre de l’ouvrage souligne la problématique du personnage : Oussama Ben Laden est une "énigme" que personne, pas même le journaliste, ne peut résoudre.

Pourquoi alors avoir publié cette biographie, si on ne sait toujours pas qui est vraiment Ben Laden ? Ian Hamel tente plutôt le pari de cerner les différents traits de caractères du personnage. L’homme aurait en effet plusieurs visages, mais cette multiplicité s’expliquerait aussi par les témoignages contradictoires rapportés dans le livre. Ian Hamel aurait pu également adopter un plan thématique pour analyser efficacement la personnalité du terroriste. Son plan chronologique n’aide guère le lecteur, qui se retrouve perdu dans la masse d’informations et l’enchaînement des événements internationaux dans lesquels Oussama Ben Laden se retrouve plus ou moins impliqué.


De l’enfant gâté au djihadiste manipulé

Oussama Ben Laden est présenté tout d’abord comme l’un des multiples rejetons de Mohamed Ben Laden. En effet, la biographie regorge d’éléments intéressants sur le père d’Oussama, un Yéménite qui a fait fortune dans le bâtiment en Arabie Saoudite. Ce dernier est devenu ainsi l’un des meilleurs amis du premier roi Ibn-Séoud   . Cette amitié fait la richesse de la famille Ben Laden et donc des enfants de Mohamed. La richesse qu’héritera Oussama va lui permettre de financer plus tard ses initiatives tant en faveur de ses premiers engagements dans le djihad contre les Soviétiques en Afghanistan, dans les années 1980, que pour acheter l’amitié d’autres chefs du fondamentalisme religieux comme le Mollah Omar, chef des talibans. Pour Ian Hamel, il y a un "paradoxe" dans la filiation entre Mohamed, le père, et Oussama, le fils : "Il entre dans l’Histoire comme un destructeur, alors que son père marque son temps comme un bâtisseur."   .

L’argent va effectivement aider Oussama Ben Laden, mais aussi la proximité de sa famille avec les monarques saoudiens. Cette dynastie, au-delà de son faste et de ses excès, de son attribution de tous les pouvoirs en Arabie, va trouver en Oussama l’un de ses pions parfaits pour accomplir ses fins. Les rois saoudiens ont conscience que leur puissance tient essentiellement sur l’alliance entre le pouvoir politique et le fondamentalisme religieux qui rythme, depuis des siècles, la vie de l’Arabie, mais aussi du Yémen dont sont originaires les Ben Laden.

 

 

La monarchie des Saoud ayant été créée sur le démembrement de l’empire ottoman et au détriment de la dynastie hachémite, jugée plus légitime par son ascendance revendiquée avec le Prophète Mahomet.  Dès lors, les Saoud cherchent depuis le XXe siècle à consolider leur monarchie. Les autres États rivaux – l’Irak laïc de Saddam Hussein, l’Iran chiite de Khomeiny, la Syrie alaouite des Assad – les menacent autant sur le plan religieux que politique. Il faut donc pour les Saoud propager le wahhabisme dans "une politique islamique mondiale"   .

Sans révéler son nom, qui figure à plusieurs reprises dans le livre, un membre influent de la famille royale va ainsi à la fois soutenir et espionner le jeune Oussama Ben Laden qui s’est lancé dans ses premiers voyages pour mener le djihad. Riche et formé à l’école wahhabite, Oussama est aussi facilement manipulable du fait des faiblesses de son caractère.



Un terroriste intellectuellement limité ?

Pour Ian Hamel, c’est une affirmation. Le lecteur est surpris : Oussama Ben Laden, depuis son enfance jusqu’à sa maturité, ne brillerait pas par son intelligence. "Il priait tout le temps. Il souriait tout le temps. (…) Il n’est pas charismatique. Il n’est pas très intelligent, mais c’est la personne la plus dévouée et la plus résolue qui soit", d’après le témoignage d’un Pakistanais qui l’a connu   . Pire, Oussama Ben Laden ne serait pas non plus très organisé, un comble pour "l’émir" de l’organisation Al Quaïda, la plus redoutée des démocraties occidentales…

Il apparaît donc que sa fortune lui a permis de combler les lacunes propres à son caractère. C’est aussi cela qui lui attire les faveurs et l’amitié d’autres djihadistes. Par exemple, on y apprend que l’Égyptien Ayman Al-Zawahiri, bien que son second, aurait choisi de rejoindre le Saoudien pour contrôler Al Quaïda avec l’aide de ses amis, les "Frères musulmans". Le récit de la vie de Ayman Al-Zawahiri, plus torturée que celle de Ben Laden, est très intéressant et explique mieux l’engagement fondamentaliste du terroriste international le plus connu après Oussama Ben Laden. En réalité, le commanditaire des attentats du 11 septembre 2001 à New York ne serait que le porte-drapeau de la nébuleuse Al Quaïda, elle-même difficilement définissable.

Derrière Oussama Ben Laden se cachent des hommes plus "machiavéliques", des organisations islamistes qui ne veulent pas "se mouiller" dans des attentats terroristes, ainsi que de nombreux services secrets qui voient dans les actions d’Oussama Ben Laden les moyens de tirer les ficelles contre d’autres États. À ce titre, les comportements des services secrets américains et pakistanais apparaissent très ambigus et relèguent paradoxalement au second plan l’intérêt du lecteur pour Oussama Ben Laden lui-même   . D’une certaine façon, la biographie fait vite le tour de la vie du terroriste international pour soulever de nombreuses questions sur les implications des services secrets derrière les exactions d’Al Quaïda.

L'énigme Oussama Ben Laden de Ian Hamel se lit facilement, mais laisse un profond goût d’inachevé, du fait du recoupement de sources déjà connues et/ou contradictoires, ainsi que par la nature même du personnage étudié. On relève aussi des faiblesses dans la biographie comme certains passages qui font plutôt l’état de rumeurs, ainsi que des longs chapitres dans lesquels, on ne voit plus du tout Oussama Ben Laden. De même, le choix du "chapitre 11" pour y évoquer… les attentats du 11 septembre 2001 apparaît comme une symbolique un peu trop voyante   .

 

 

Enfin, Alain Chouet, dans sa préface, aurait pu éviter de comparer la fuite en motocyclette du Mollah Omar d’Afghanistan à celle "de n’importe quel voyou de banlieue"   . Cependant, Ian Hamel a essayé de résumer la vie d’un homme devenu une icône parmi tant d’autres du monde arabo-musulman, un monde en conflit ouvert avec l’administration américaine de George W. Bush qui se targuait d’incarner le camp de l’Occident et du monde libre. Presque une décennie de conflits entre ces deux mondes s’est écoulée. Un nouveau président américain a été élu, il était donc temps de clore l’ère Bush par une biographie consacrée à son meilleur ennemi