Ce livre court et agréable relate la découverte des mécanismes énergétiques de la vie neuronale au moyen de l’imagerie cérébrale.

Récit d’une découverte

Le cerveau est considéré aujourd’hui comme l’objet naturel le plus complexe. Le nombre de connexions neuronales avoisine le nombre de secondes depuis le Big Bang. La question de la nature de la conscience plonge les philosophes depuis l’Antiquité dans un abîme contemplatif. Mais cette complexité n’est pas de nature à décourager Pierre Magistretti qui, avec une génération de chercheurs travaillant à la croisée de la biologie moléculaire et des neurosciences, fait avancer notre compréhension de cet organe fascinant qui nous permet de rire, sentir et penser. Depuis une vingtaine d’années, il explore les aspects énergétiques de la vie neuronale au moyen de techniques de pointes d’imagerie cérébrale. Comment la consommation d’énergie dans le cerveau est-elle réglée localement pour soutenir ou préparer l’activité neuronale? La question est au centre de notre compréhension moléculaire du cerveau et a d’importantes implications pour la santé mentale. À l’occasion de son intronisation à la chaire internationale du Collège de France, Pierre Magistretti relate dans un discours agréable à lire, bien qu’un peu technique, les grandes étapes de son travail sur la nature moléculaire du couplage neuroénergetique.

 

Des oubliés essentiels

Les travaux de Pierre Magistretti commençaient dans un contexte où la vision du cerveau était centrée autour du neurone. Pourtant, bien d’autres cellules existent dans cet organe, au premier rang desquelles les astrocytes, présentes en plus grand nombre que les neurones eux-mêmes. Les spécialistes de l’époque considéraient ces cellules comme une simple pâte permettant l’arrangement neuronal. Mais Pierre Magistretti démontra dans une série d’expériences séminales que les astrocytes sont en réalité les fournisseurs d’énergie aux synapses. Ce sont ces cellules qui permettent à l’énergie de passer des circuits sanguins aux synapses, soutenant l’activité neuronale et, parfois, préparant son arrivée. Sans ces astrocytes, pas de signal nerveux ! L’équipe de Magistretti allait plus loin encore et montrait que l’énergie était transmise aux synapses par le lactate, bouleversant le dogme qui tenait ce mode respiratoire aérobie pour dangereux et pathologique. Malgré la résistance du milieu scientifique, Pierre Magistretti remettait à leur juste place ces oubliés de la dynamique énergétique du cerveau qu’étaient les astrocytes et le lactate.

 

Voir le cerveau en marche

C’est le développement rapide de techniques d’imagerie cérébrale qui a permis ces avancées majeures. La tomographie par émission de positrons (PET) exploite la radioactivité d’analogues du glucose pour visualiser les lieux de consommation d’énergie ; l’imagerie fonctionnelle par résonnance magnétique (fMRI) indique les régions où le flux sanguin s’élève. Pierre Magistretti fait plein usage du signal PET pour révéler la nature moléculaire du couplage neuroénergetique. Il attache une grande importance à toujours garder à l’esprit l’origine cellulaire du signal d’imagerie, où une même image peut traduire aussi bien l’excitation que l’inhibition. Cette nouvelle science est encore jeune et l’impact des futures techniques d’imagerie sera immense. La microscopie holographique, par exemple, permettra de suivre les changements instantanés de composition interne d’un neurone individuel.

 

Neuroénergetique et santé mentale

La capacité de voir le cerveau en marche a ouvert un champ immense de possibilités pour les sciences de la vie mentale. Le langage, le sens des nombres, l’instinct moral sont autant d’aspects de la pensée humaine qui trouvent une racine physique observable par fMRI. Mais plus concrètement, il apparaît que les pathologies mentales peuvent être liées à des comportements cellulaires aberrants révélés par imagerie cérébrale. Ainsi, la dépression ou la maladie d’Alzheimer sont accompagnées de perturbations moléculaires du système de couplage neuroénergetique décrit par Pierre Magistretti. Il n’est donc pas impossible que ces recherches fondamentales aident à comprendre ou même soigner ces pathologies qui affectent tôt ou tard une grande partie de notre population. Dans cet ouvrage, qui a pour but d’introduire le cours qu’il délivrera au Collège de France plutôt que de l’expliquer, l’auteur ne peut malheureusement qu’effleurer ces thèmes. La simple perspective de pouvoir connecter le rôle moléculaire du glucose dans les astrocytes à ces psychopathologies n’en reste pas moins fascinante.

 

Le facteur humain

Il est très rafraîchissant de voir le portrait humain que l’auteur dresse de la recherche scientifique. Si la rigueur et la persévérance sont des qualités essentielles au bon scientifique, l’erreur, l’ignorance, le doute font partie intégrante de la recherche. Parfois même ces éléments du hasard mènent à des découvertes que l’on n’aurait pu faire autrement, et qui ouvrent sur des chemins originaux que l’on aurait pensés peu fertiles. Le récit que fait Pierre Magistretti de son parcours souligne l’importance de ne pas se tenir aux dogmes, et de remettre en question l’enseignement. Dans ce livre court et accessible à quiconque a reçu une formation élémentaire de biologie, il décrit la science telle qu’on la fait, la connaissance telle qu’elle est découverte et se construit. Cette vision très humaine de la science contraste avec l’idée fausse qu’on peut s’en faire d’un savoir existant absolument et en dehors de tout. Au travers de la découverte des mécanismes moléculaires du couplage neuroénergetique, Pierre Magistretti nous montre la construction par des hommes d’une science en mouvement