Rares sont ceux qui ont pu échapper à l’énorme polémique qu'ont générée les propos tenus par Éric Zemmour sur les races, lors de l’émission "Demain, tous métis ?", animée par Isabelle Giordano et diffusée sur Arte le jeudi 13 novembre. L’omniprésent éditorialiste regrettait que la "sacralisation" des races, propre à l’idéologie nazie, ait laissé place à leur "négation" pure et simple. La blogosphère, comme d’accoutumée, s’est rapidement enflammée.
Réactions en chaîne
Tout a été dit, ou presque. Rue89 s’est ému du manque de vigilance des médias et a réfuté l’idée d’une maladresse commise par le journaliste, en publiant la contribution d'un internaute. Acrimed, fidèle à ses prises de position musclées, a envoyé au bûcher Éric Zemmour, à la "carrière toute vouée à la réhabilitation de la France "éternelle", c’est-à-dire blanche, phallocratique et hétérocentrée". Mais l’association en a également profité pour allumer Isabelle Giordano, Arte, Laurent Joffrin et l’ensemble des médias, dans un grand brasier collectif. Télérama, en interviewant l’anthropologue et médecin Didier Fassin, s’est concentré sur l’objet même de la polémique : les races existent-elles ? "Oui, la race existe, faut-il répondre au polémiste, elle existe bien dans la tête de gens comme vous." Finalement, à l’exception notable de Causeur, toujours prompt à dénoncer "la machine associative à s’indigner", peu de blogueurs ont pris fait et cause pour le pauvre Éric Zemmour, comme toujours "seul et contre tous". C’est pourquoi l'espace conséquent que Vendredi a accordé à l’éditorialiste dans son dernier numéro a de quoi surprendre.
Vendredi s'émancipe... ou se perd
Vendredi est un hebdomadaire lancé cet automne par Jacques Rosselin, fondateur de Courrier International. Ce journal atypique, tant par son format allongé que par son dessein, compile une sélection d’articles tirés du web, et donne donc un espace papier unique à l’activité foisonnante de la blogosphère. Pourquoi a-t-il donc choisi de servir de support à l’éditorialiste honni ? Jacques Rosselin a beau s’être justifié en écrivant dans son éditorial vouloir s’affranchir d’un positionnement politique, l’affaire est sensible et le risque évident : celui de se voir renier par la majeure partie de ses contributeurs, les blogueurs, et de se mettre à dos son principal fonds de commerce, leurs lecteurs. Ce mauvais calcul est bien résumé par l’article énervé d’André Gunthert, "Vendredi dérape sur Zemmour", où l’avis du chercheur est sans appel : "si c'est ainsi que Rosselin voit son journal, il se passera de mes services". Cette prise de position délicate sonnerait-elle la fin (de semaine) pour Vendredi ? Pas si sûr, tant l’hebdomadaire est indispensable à la visibilité des blogueurs, au delà de la toile. Seule vitrine du web dans les kiosques, Vendredi dispose a priori d’un rapport de force favorable. Et le malin Rosselin le sait bien : lorsqu’il réagit à l’article d’André Gunthert dans un commentaire, c’est pour lui proposer de le publier dans le prochain numéro…
* Texte écrit en collaboration avec Claire Jeannet.