Jean Ziegler signe un nouvel essai engagé et tranchant sur l'Occident et ses affres.

Universitaire   et membre du Parti socialiste suisse, Jean Ziegler, a occupé le poste de conseiller municipal à Genève et a effectué plusieurs mandats en tant que député du parlement fédéral suisse. Sur le plan international, il a exercé jusqu’en mars dernier les fonctions de rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Il est depuis membre du comité consultatif du conseil des droits de l'homme de l’ONU.

Connu pour ses écrits engagés et tranchants   , Jean Ziegler revient sur le devant de la scène avec un livre intitulé La haine de l’occident (Albin Michel), où il entend apporter des réponses au manque de dialogue entre l’Occident et les pays du Sud. À ce titre, Jean Ziegler, qui qualifie de "crime contre l'humanité" le fait d'abandonner les cultures vivrières au profit des biocarburants, souligne la nécessité de faire émerger un nouvel ordre économique mondial.


Du colonialisme et de l’esclavage à la sujétion économique, du devoir de mémoire à la haine


Jean Ziegler part d’un constat amer : les dysfonctionnements et blocages récurrents dont souffre l’organisation des Nations unies s’expliquent pour partie par la haine que vouent les populations des pays du Sud à l’Occident. Cette haine est attisée par la prise de conscience du rôle joué par la colonisation occidentale dans l’extrême pauvreté et le désordre institutionnel actuels des pays du Sud. Ainsi, cette prise de conscience se matérialise, notamment, par des revendications mémorielles.

Pour étayer son propos, Jean Ziegler nous invite à remonter aux racines de cette haine, à savoir la colonisation et l’esclavage, pour mieux mettre en exergue leur pendant actuel : un capitalisme financier qui assure la mainmise économique de l’Occident sur les pays du Sud au moyen d’institutions internationales telles que la banque mondiale, le fonds monétaire international et  l’OMC.

Afin d’illustrer les blocages et les incompréhensions qui résultent de cette situation, Jean Ziegler revient sur l’échec de la conférence de Durban, largement dû, selon lui, à la haine de l’Occident et aux revendications mémorielles. Il rappelle aussi à ce titre le discours controversé prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007.

Jean Ziegler se montre donc, on l’aura compris, très critique à l’égard de l’Occident. Il stigmatise la "schizophrénie" dont souffrent la plupart des régimes occidentaux, à la fois porteurs de valeurs universelles, mais premiers à les bafouer.


Les exemples du Nigeria et de la Bolivie


La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à deux exemples concrets : le Nigeria et la Bolivie. L’un fait état d’une situation aberrante et inextricable, tandis que l’autre laisse apparaître une lueur d’espoir, à nuancer cependant.

À travers l’exemple nigérian, Jean Ziegler nous dépeint ce que l’Occident a fait de plus mauvais : captation du pétrole par des multinationales occidentales, misère des populations locales, déliquescence de l’État, hypocrisie des États occidentaux face à cet état de fait.

 

 

À travers l’exemple bolivien, au contraire, Jean Ziegler montre qu’il est possible de sortir de cette logique implacable. Il voit dans l’accession d’Evo Morales à la présidence un signe d’espoir et de justice, une réappropriation des ressources nationales par le grand nombre. On notera à cet égard le récit particulièrement palpitant de la mise au pas des sociétés pétrolières étrangères, qui ne perçoivent désormais plus que 18 % du prix de vente du baril de brut. Toutefois, cet espoir est à nuancer en raison des fortes oppositions que suscite Evo Morales dans les minorités métis et blanche.


Un ouvrage engagé


Jean Ziegler fait beaucoup de constats, émet des jugements de valeur, mais sans pour autant proposer de solutions concrètes. Certes, La haine de l’occident a le mérite de porter le débat sur des problématiques essentielles, malheureusement trop peu traitées par les grands médias. En effet, il revient sur des faits historiques souvent occultés, sinon peu abordés par les manuels scolaires, tout en offrant un grand nombre de références aux lecteurs avides de connaissance, notamment par de riches notes de bas de page.

Bien entendu, le tableau noir que dresse Jean Ziegler de l’Occident est à nuancer, bien qu’une telle nuance puisse s’inscrire dans la schizophrénie évoquée plus haut, les actions en faveur des pays du Sud venant en quelque sorte compenser les injustices et les spoliations commises par ailleurs.

De manière générale, on se laisse porter par le style rédactionnel de Jean Ziegler qui, malgré certaines envolées, fait état de convictions fortes ainsi que d’un sens aigu de la justice.

Trois figures ressortent clairement de cet ouvrage : Aimé Césaire, cité à plusieurs reprises, l’écrivain nigérian Wole Soyinka, et bien entendu le président bolivien Evo Morales. Aussi, une phrase d’Aimé Césaire permet de résumer assez justement ce que Jean Ziegler s’attache à nous décrire : "J’habite une guerre de trois cents ans"