Quelques mois seulement après son éviction de TF1, PPDA revient sur cet épisode médiatico-politique dans un livre avant tout destiné à ses fidèles.

Le 10 juillet 2008, Patrick Poivre d’Arvor présentait son dernier journal télévisé sur la première chaîne et descendait définitivement d’un trône qu’il occupait depuis vingt et un ans. Quelques mois, une crise financière et l'élection d'un Barack Obama plus tard, le baron du journalisme télévisé français publie donc À demain, ouvrage qui alterne récit de son pèlerinage laïc menant du Puy-en-Velay à Saint-Jacques-de-Compostelle et tourments de sa vie médiatique parisienne. Une marche de 1500 km entamée en 2001, poursuivie chaque été et achevée en 2008, synonyme de "trajet intérieur"   pour l’auteur, qui lui offre le temps et la quiétude nécessaires au détachement vis-à-vis de l’actualité et à la réflexion.


Plus courtois qu’impertinent

Patrick Poivre d’Arvor vante souvent les vertus thérapeutiques de l’écriture. Son livre, écrit peu de temps après son éviction du poste de présentateur du journal le plus regardé d’Europe, n’est pourtant pas réellement un exutoire destiné à enflammer le microcosme. Si le journaliste revient forcément sur les péripéties de son départ et en profite pour régler quelques comptes, il reste, comme à son habitude, fondamentalement courtois et consensuel. Son licenciement a constitué l’évènement médiatique de l’année, et, additionné à l’éviction du directeur de l’information Robert Namias, une rupture forte dans la stratégie éditoriale de TF1. Bien sûr, personne n’est immortel, pas même l’inamovible PPDA, sans doute vieilli par l’arrivée du jeune Harry Roselmack, qui avait deux ans lorsque d’Arvor présenta son premier "20 heures", le 16 février 1976 sur Antenne 2. Pourtant, la brutalité avec laquelle fut éjecté le présentateur vedette de TF1 a beaucoup fait parler, et les motivations premières d’un tel choix demeurent encore bien obscures.


L’icône PPDA est-elle morte de vieillesse ou a-t-elle été lâchement assassinée dans un sombre couloir de l’Élysée ?

Le principal intéressé invoque des raisons politiques : ses dirigeants l’auraient "débarqué" pour faire plaisir aux plus hautes sphères de l’État : "Dans cette affaire comme en bien d’autres, les responsables agissent le plus souvent par excès de zèle, pour essayer de complaire…"   L’ombre du pouvoir politique surgit inévitablement dès lors qu’il s’agit d’un support médiatique de la portée du "20 heures" de TF1, surtout si l’on y ajoute les liens qui unissent Nicolas Sarkozy au patron de la chaîne privée et l’arrivée de Laurence Ferrari, réputée proche du président. De plus, l’épisode de l’interview de juin 2007 où Patrick Poivre d’Arvor qualifiait Nicolas Sarkozy de "petit garçon" sous le regard amusé de Claire Chazal a pu fait croire à des représailles présidentielles. Le journaliste infirme ces rumeurs – sans toutefois les considérer comme infondées et assure entretenir encore de chaleureuses relations avec le chef d’État.

En revanche, il se place volontiers en victime des puissants, soumis à une "décision arbitraire, motivée par le désir de me mettre au pas, de faire rentrer dans le rang, de ne rien risquer qui pourrait faire sourciller le pouvoir, les pouvoirs […]"   Alors, l’icône PPDA est-elle morte de vieillesse ou a-t-elle été lâchement assassinée dans un sombre couloir de l’Élysée ? Il est difficile de trancher, et Patrick Poivre d’Arvor va jusqu’à s’étonner qu’aucun confrère n’ait enquêté sur sa propre éviction   . Motivations politiques ou non, comme journaliste, on a connu plus audacieux, et si lui-même se définit comme "impertinent et courtois", chacun s’accordera sur le second qualificatif au détriment du premier, tel l’incarnation d’une profession qui a décidément bien du mal à se séparer de ses traditions monarchiques. En tout cas, Patrick Poivre d’Arvor est sorti amer de cet épisode : "Le coup de poignard dans le dos m’empêche encore de galoper… Ce sentiment d’avoir été abîmé par le manque de courage de ceux qui ont du mal à parler, qui ont peur à l’idée même d’une conversation, d’un débat, qui ne savent pas expliquer, pas même ce qu’ils veulent !"   La situation inconfortable du journal de TF1 depuis la rentrée pourrait le réjouir. Depuis l’arrivée de sa radieuse remplaçante Laurence Ferrari, la courbe d’audience du "20 heures" suit une pente descendante. Ce que PPDA n’hésite pas à rappeler   .


"Parler au plus grand nombre"

En trente-sept ans de carrière   , Patrick Poivre d’Arvor est devenu bien plus qu’un journaliste. C’est une star, un symbole, un monstre de longévité et de popularité, ou selon l’expression acide de son ami le réalisateur Raoul Sangla, une "icône électroménagère". L’intérêt journalistique de l’ouvrage est d’ailleurs réellement limité : lorsqu’il revient sur ces nombreuses années de reportage à la télévision, à la radio, et pour la presse, ce n’est que pour évoquer les figures qui l’ont précédé et qu’il a connues à travers une sorte d’hommage qui ne renierait aucunement un lauréat aux Césars. Plutôt qu’en journaliste, Poivre d’Arvor parle en célébrité déchue s’adressant à ses fidèles, mettant en avant "cette histoire d’amour unique avec le public et l’information"   . PPDA était aimé des Français, et aime à le rappeler. À plusieurs occasions, il cite des sondages de popularité et autres palmarès qui le placent en tête. Il évoque avec tendresse les dizaines de milliers de lettres de soutiens reçues après l’annonce de son licenciement. Mais plus que les gens, ce que semble apprécier Patrick Poivre d’Arvor, ce sont les chiffres. Dit de manière plus élégante, "[sa] philosophie a toujours été de parler au plus grand nombre"   . Et des nombres, il ne s’en lasse pas. Mesures de l’audimat, pourcentages d’audience remportés devant les concurrents du service public et sondages à l’appui, l’ex pape de l’information est fier de son bilan. Sans nul doute, il y a droit : présentateur vedette du journal télévisé le plus regardé d’Europe durant plus de 20 ans, ayant participé aux lancements d’Antenne2, de Canal+ et d’Arte, auteur de nombreux livres dont certains primés, Patrick Poivre d’Arvor est un journaliste adulé et un écrivain accompli. Mais cette religion de l’audience, dont la foi transpire à chaque page, fait oublier l’aspect qualitatif du travail de journaliste de l’auteur, qui n’y accorde finalement que peu de lignes, si ce n’est pour répondre à ses détracteurs.
 

"Quoiqu’il en soit, nous serons toujours critiqués !"

TF1 est en effet la cible favorite de nombres d’observateurs du journalisme en France, comme Daniel Schneidermann, Serge Halimi ou encore l’association ACRIMED, qui voient dans la première chaîne l’incarnation du média capitaliste intrinsèquement lié aux pouvoirs économiques comme politiques. Dans cette optique là, PPDA, en tant que journaliste phare de la chaîne de Martin Bouygues, ne peut que subir de plein fouet le feu des critiques. Certes, il soutient tout au long du livre avoir "pendant vingt ans disposé d’une incroyable latitude d’action : rarement j’ai pu travailler aussi librement, je tiens à le répéter et à l’écrire ici." On s’interroge alors sur la teneur sous-jacente au sous-titre, "En chemin vers ma liberté." De quoi PPDA était-il prisonnier ? De sa hiérarchie, de l’actualité, de l’audience? Sans doute un peu des trois… On a aussi pu reprocher à la chaîne son rôle dans l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles de 2002, ce que Patrick Poivre d’Arvor réfute : "Nous, les médias, n’avons jamais organisé quelque peur collective que ce soit. […] La violence, je ne la désire ni ne la surexpose. Quand elle survient, il faut savoir la traiter, l’exposer, l’expliquer sans pour autant être anxiogène."   "Quoiqu’il en soit, nous serons toujours critiqués ! D’être trop voyeurs ou trop distants ! Ultra sécuritaires ou trop indulgents avec les émeutiers !"   Outre son employeur, PPDA traîne derrière lui deux affaires où sa crédibilité a pu être entachée. Pour s’en dédouaner, le journaliste laisse parler Serge Raffy, avec qui il a cosigné le livre d’entretiens Confessions (2005). Ainsi, il revient brièvement sur l’affaire Botton, lors de laquelle il fut condamné pour abus de biens sociaux, en se disant victime d’une "vengeance politique le visant exclusivement". Deuxième affaire sensible, l’épisode "Fidel Castro", où la conférence de presse du Lider maximo - à laquelle n’assistait pas le journaliste - avait été montée de telle sorte que l’on croit à une interview exclusive. Cette fois-ci, c’est la presse qui persécute le pauvre PPDA, en préférant "ignorer le déroulement exact des faits".

Honorer les compagnons de route, régler quelques comptes, s’efforcer de désamorcer les critiques et remercier les spectateurs : À demain pourrait s’apparenter à des mémoires si l’auteur laissait filtrer d’avantage de lui-même au fil des pages. Car lorsqu’il évoque les jours de marche passés menant à Compostelle, loin de la frénésie de la vie parisienne et des tractations médiatico-politiques, on devine parfois, au détour d’un sentier joliment transposé, une personnalité attachante car passionnée. Mais celle-ci s’efface facilement derrière la figure imposante de l’icône à la voix douce et rassurante qui a rythmé les dîners de millions de Français durant plus de trente ans