Les auteurs préconisent de substituer aux idées reçues un management basé sur les faits.
Ce livre de deux universitaires américains vient de se voir attribuer le prix du livre RH 2008 . Il traite des demi-vérités que le management a tendance à accepter sans les vérifier, et cherche à promouvoir un management fondé sur les faits (comme il existe une médecine fondée sur les faits ou sur la preuve).
Cet ouvrage renoue ainsi avec l’inspiration de James March (qui était également professeur à Stanford) et sa critique des mythes du management , tout en suggérant une méthode rationnelle pour en venir à bout. Notons au passage que celle-ci aurait sans doute laissé March un peu sur sa faim, dans la mesure où il était a priori plus sensible que nos auteurs à la manière dont ces mythes ou demi-vérités contribuent cependant à créer du sens.
Recueillir des faits
Cette méthode est expliquée dans les deux premiers chapitres. Elle consiste, au moment de prendre une décision, à se référer à des faits avérés (plutôt que de copier les autres, faire ce qui a réussi dans le passé ou suivre une idée reçue). Ces faits peuvent préexister sous la forme de résultats d’études par exemple, ou peuvent faire l’objet d’une recherche en procédant au besoin à des expériences de taille réduite. Si aucune donnée n’est accessible, la méthode préconise de s’interroger sur les hypothèses qui sous-tendent la politique, la pratique ou la mesure envisagée, et de confronter systématiquement ces hypothèses aux connaissances et expériences de l’ensemble des acteurs de l’entreprise.
L’application du management par la preuve va rarement de soi. Celui-ci bouscule les positions de pouvoir (la vérité est souvent difficile à entendre). En outre, le marché des idées managériales est confus et inefficace . C’est pourquoi les auteurs suggèrent de leur appliquer des critères d’analyse logique pour reconnaître les défauts de raisonnement. Comme celui qui consiste à extrapoler à partir des seuls cas des entreprises qui réussissent sans vérifier que celles qui ont échoué (souvent beaucoup plus nombreuses) n’ont pas mis en œuvre les mêmes politiques que l’on préconise. Ils recommandent également d’apprendre à résister à l’autopromotion et à la célébration qui caractérisent ce marché.
Peser les avantages et les inconvénients de chaque idée
Les chapitres suivants mobilisent alors cette méthode pour examiner chacun une demi-vérité, en veillant à bien peser ses avantages et ses inconvénients. Tout d’abord l’idée qu’il doit exister dans les entreprises une séparation forte entre vie professionnelle et vie personnelle et par conséquent une adaptation des comportements à chaque environnement. Ensuite, que les performances individuelles des salariés conditionnent largement celles des organisations. Les auteurs poursuivent en cherchant à évaluer l’idée que les incitations financières améliorent les performances des entreprises (un sujet d’actualité si l’on pense aux stock-options ou aux bonus des traders, où les faits vont peut-être finir par l’emporter…). Ou encore l’idée que tout est dans la stratégie (par opposition à la mise en œuvre ou à la poursuite de l’efficacité opérationnelle).
L’idée ou demi-vérité du changement permanent est quant à elle davantage déclinée. Les auteurs évoquent ainsi, tour à tour, les fusions et acquisitions, la mise en œuvre d’un ERP (Enterprise Resource Planning), l’adoption de meilleures pratiques de ressources humaines (l’équivalent pour les américains de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences), les efforts d’amélioration de la qualité, le reengineering, les licenciements massifs (que les études disponibles conduiraient plutôt à proscrire ), le lancement d’un nouveau produit, etc., autant de chantiers récents du management, dont Denis Segrestin avait également cherché à faire un bilan . Les auteurs concluent leur revue par l’examen de l’idée que le rôle des grands leaders est essentiel dans la performance de l’entreprise (ils plaident alors pour une vision modeste du leadership).
Les idées reçues commandent les décisions dans les entreprises. Les dirigeants ne se préoccupent malheureusement, la plupart du temps, au moment de prendre une décision, ni de s’informer des résultats de la recherche (donnant parfois l’impression de ne pas savoir qu’en faire ), ni de recueillir des données dans leur propre entreprise (ils s’y emploient une fois la décision prise). On pourrait ajouter que les résultats obtenus dans certaines disciplines – cela valant pour la finance en particulier – sont projetés sur des domaines où ils n’ont a priori aucune raison de se vérifier, avec ensuite des effets particulièrement néfastes.
La distance culturelle et le fait que les exemples (nombreux) que donnent les auteurs soient tous américains ôtent sans doute au livre un peu de son mordant pour un public français. Il serait toutefois dommage qu’il ne trouve pas, à cause de cela, l’écho qu’il mérite. Le prix qu’il vient de recevoir le signale une nouvelle fois (car il est paru à la fin de l’année dernière), à juste titre, à l’attention des lecteurs