Un livre sous forme de cours, somme d'une grande érudition, qui aurait cependant gagné à tracer de nouvelles perspectives.

Le nouveau livre de Koninck est un cours sur le livre lambda de la Métaphysique d’Aristote, un cours de grande qualité, mais un cours seulement.

Il présente finement les analyses d’Aristote en essayant de les restituer dans leur fraîcheur et en les connectant à la philosophie moderne. Si la synthèse proposée est intelligente, elle se limite trop souvent à compiler des auteurs sans proposer de vues neuves. Ses seules originalités sont, d’une part, une lecture de la Métaphysique à la lumière du De Anima, pour saisir la cohérence de la pensée aristotélicienne ; d’autre part, de se référer plus volontiers à Hegel qu’à la scolastique pour nourrir sa compréhension d’Aristote…

Le cœur du livre est consacré à "l’innovation d’Aristote, la noêsis noêseôs"   , la pensée de la pensée, selon la définition qu’Aristote donne de Dieu. C’est pour en étayer la compréhension que Koninck fait appel au De Anima, où la nature de la pensée est étudiée spécifiquement. Il faut rappeler que, pour Aristote, la connaissance est une identification et non une représentation. Ce point est essentiel, car là réside la difficulté pour nous, quand nous voulons pénétrer le sens de la définition d’Aristote : "La notion de la connaissance comme une représentation intérieure nous est devenue à ce point naturelle que la vision aristotélicienne, qualifiée de “hylémorphique”, peut nous sembler étrange ; car il s’agit d’une conception selon laquelle la connaissance n’est pas la possession de représentations exactes d’un objet mais bien plutôt le sujet devenant identique avec l’objet."  

Mais le Dieu d’Aristote n’est pas replié sur lui-même pour autant. Dans son acte d’intellection, il pense toute chose en lui. Se pose alors l’objection de Plotin, à savoir que cette pensée de la pensée implique une dualité au sein du principe premier. Cette considération, qui n’aurait pas échappé à Aristote, nous force à méditer plus attentivement ce qu’il signifiait. Si l’intellect en acte est les choses, et si cette pensée de la pensée est pleinement simple : "On est mis en présence ici d’une connaissance indivisible de soi, par nature antérieure à tout autre - échappant à coup sûr à la représentation humaine."  

Toujours dans cette réflexion sur la nature de la pensée, l’intelligence de l’indivisible occupe une place remarquable, car c’est par là que la connaissance s’enracine dans la vérité. Koninck développe la différence profonde qui sépare l’approche d’Aristote de celle de Descartes. Pour ces deux auteurs, la saisie de ce qui est simple est marquée par l’évidence. L’intellection du simple est vraie, et l’erreur ne peut affecter que la prédication, parce qu’il y a alors composition. Mais pour Aristote, le simple, c’est la forme, l’être des étants ; pour Descartes, c’est la pensée elle-même. Ainsi, le point de vue de Descartes est, pour Aristote, le point de vue de Dieu !

Au-delà de la pensée en elle-même, Koninck s’intéresse à la nature de la causalité divine, pour montrer comment la pensée de la pensée est à la fois cause finale et cause efficiente, sous deux rapports différents (comme désirable et comme activité parfaite). Il en vient alors au rapport des causes individuelles (les substances) à l’universalité, donc à la place du hasard et du temps dans la nature, ce qui le conduit à évoquer la question de l’évolution.

En effet, si le bien et à la volonté qu’il meut sont des thèmes aristotéliciens classiques, Koninck traite surtout à leur sujet de l’évolution et à la finalité qu’elle manifeste. À travers une réflexion sur la notion de possibilité – au sens de la contingence –, il montre comment "la seule nécessité admissible, s’agissant de finalité, est, aux yeux d’Aristote, hypothétique (ou conditionnelle), puisque sa réalisation peut toujours être empêchée"   . En effet, il ne faut pas opposer une finalité qui procède par nécessité absolue, à un hasard totalement indéterminé. Il y a un entre-deux, où se joue le devenir des étants. Le simple fait que la théorie de l’évolution repose sur la notion centrale de sélection montre qu’elle inclut un principe de détermination ; de plus, l’apparition de nouveauté dans l’histoire naturelle est bordée par le cadre du possible. C’est là qu’apparaît la finalité.

En conclusion, et comme une synthèse de son parcours dans le livre lambda, Koninck évoque la quête de Dieu, à la fois comme intelligible et comme bien. Comme intelligible, car il est l’horizon de notre intelligence : "Dieu ne peut être connu que par lui-même : jamais la pensée humaine ne peut en tout cas le faire sienne. […] Cette incompréhensibilité, dès longtemps reconnue, nous met en présence de notre finitude : nos concepts sont finis, ce qui n’a cependant de signification qu’en regard d’un infini, vu que toute imperfection implique son opposé, la perfection. Encore une fois, cet infini, pour nous incompréhensible, ne serait-il pas, justement, Dieu ?"  

Et comme bien, car notre désir est infini, qu’on l’appelle nostalgie d’absolu ou quête de sens : "D’où vient cette perpétuelle quête de sens ? D’où vient la question inéluctable du sens du sens ? Le lien de la connaissance et de l’amour n’est-il pas spécialement évident dans cette quête ? Et son terme ultime n’est-il pas Dieu, en effet ?"  

Au total, par son érudition, ce cours est celui que souhaiterait recevoir tout étudiant en philosophie ancienne. On regrettera seulement que l’auteur se soit cantonné à un travail de synthèse, sans proposer de nouvelles perspectives. Ceci dit, cet ouvrage est l’occasion de se replonger aux sources de la métaphysique, ce qui n’est jamais perdu