Le message est unanime : si un référendum était organisé aujourd’hui, plus de 98% des Albanais se déclareraient favorables à une entrée dans l’Union Européenne, d’après un sondage réalisé par l’AIIS (Albanian Institute of International Studies) et publié la semaine dernière par le Tirana Times   . Le résultat dépasse de loin celui de ses voisins est-européens, plusieurs années avant leur entrée dans l’Union. Comment expliquer un tel enthousiasme, alors que la population serait la première concernée par les efforts à venir pour s’adapter aux exigences des standards européens ?

Ranimé par plusieurs signaux forts lancés par la communauté internationale, l’"euro-enthousiasme" ne cesse de progresser depuis quelques années chez les Albanais, qui voient dans l’Union Européenne un passeport indispensable à leur libre circulation au sein du continent. Ils sont en effet directement visés par les mesures restrictives en matière de circulation des personnes promulguées par de nombreux pays, et peinent souvent à obtenir les fameux visas tant espérés, malgré des procédures laborieuses et souvent humiliantes. C’est donc à la lumière de ces préoccupations qu’il faut lire la joie suscitée par la signature récente, entre l’Albanie et l’Union Européenne, d’un visa facilitation agreement, ainsi que l’annonce par Bruxelles de l’octroi, à destination de Tirana, de 200 millions d’euros dans le cadre de l’IPA (Instrument for Pre-Accession Assistance), instrument qui vise à aider les pays candidats à remplir les conditions nécessaires à leur entrée dans l’Union Européenne. Dans un pays où les taux de corruption et de criminalité demeurent les plus élevés d’Europe, l’IPA constituerait un soutien incontournable en matière de renforcement des institutions et de sécurisation des opérations transfrontalières, l’Albanie demeurant, malgré les sérieux efforts entrepris au cours des dernières années, un pôle incontournable du trafic européen de toutes sortes.

Dans un pays où les coupures d’eau et d’électricité demeurent légion, la population voit dans l’Union Européenne un biais privilégié vers une amélioration de son niveau de vie. L’Europe est d’ailleurs d’ores et déjà considérée, par les différentes couches de la population, comme un partenaire stratégique privilégié, voire comme un acteur de la vie politique nationale, en raison des investissements croissants, notamment français.

Enthousiaste, la population albanaise n’en demeure pas moins profondément lucide : pour 82,8% des sondés, l’Albanie est à ce jour loin d’être prête à rejoindre l’Union Européenne et, pour la majorité d’entre eux, elle ne le serait pas avant 2020. Et ce malgré les progrès effectués par le pays en matière de lutte contre la criminalité organisée et contre la corruption, à l’image des mesures spécifiques prises récemment afin de protéger les témoins faisant état d’affaires de corruption.

Sur l’échiquier international, une grande partie de la population semble avoir aujourd’hui abandonné le rêve ancestral d’une "Grande Albanie", en dépit des revendications de l’ANA (Albanian National Army), organisation paramilitaire qui plaide pour la réunion des Albanais des différents pays balkaniques (Serbie, Macédoine etc.). Un Kosovo indépendant est désormais perçu comme la condition sine qua non à une pacification durable de la région, comme l’a souligné le ministre des affaires étrangères Ludmil Basha, à l’occasion de sa visite à Paris la semaine dernière, où il s’est défendu de toute volonté d’"ethnicisation" de l’Europe de la part de Tirana.

Quinze ans après la chute du communisme en Albanie, le pays tente donc de se rapprocher de l’Europe à grands pas et de sortir, petit à petit, de l’isolement politique et économique dans lequel il est depuis longtemps plongé, au sein d’une région qui peine à trouver son équilibre sur l’échiquier européen.



* Klara Wyrzykowska fait actuellement le tour du monde, en partant vers l’est, d’où le titre de son tout nouveau blog sur lequel vous pouvez lire ses dernières péripéties.