Un livre d’actualité, où Thierry Paquot procède à une critique du phénomène de construction des tours avec vigilance… et hauteur !

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Voici un livre au cœur des débats actuels ! En effet, par un curieux retournement de l’opinion des "experts" et des architectes français, les tours, honnies depuis la fin des années 1970, reviennent en force ! De destructrices de l’urbanité, elles apporteraient un "plus" à la ville, selon Anne Hidalgo, première adjointe de la ville de Paris en charge de la Ville   . De symbole d’un capitalisme oublieux des territoires, elles sont parées de vertus écologiques. Enfin, de réponses inappropriées à la crise du logement, elles deviendraient la réponse la plus simple au déficit actuel de l’offre   . Par un joli jeu de passe-passe, les tours, symboles du libéralisme économique et de l’uniformisation planétaire, deviendraient sociales, écologiques et même durables !

Dans ce contexte, Thierry Paquot se livre à une critique vigilante de la "tourellite aiguë" qui saisit l’Asie, le Moyen-Orient et un peu moins fortement, les autres continents. L’ouvrage est composé en trois parties : la première partie s’occupe à décrire la genèse des tours, nous rappelle les techniques qui en permettent la réalisation, et insiste sur la variété des situations : Manhattan est indissociable de l’histoire américaine et n’est pas reproductible. Thierry Paquot rappelle qu’à notre connaissance des tours manquent des sérieuses recherches psychosociologiques pour en connaître réellement les effets. Il en appelle à la création d’un "observatoire de la vie urbaine" qui permette de mieux comprendre l’effet des formes architecturales et urbaines sur les individus.

C’est bien sûr la deuxième partie intitulée "Des tours à Paris ?" qui attirera surtout le lecteur désireux de se situer dans les débats contemporains, même si elle ne prend sens qu’accompagnée des deux autres parties. Thierry Paquot ne dénonce pas a priori tout projet de tour, mais débusque les facilités de penser qui font, pour certains, de la tour un élément vertueux. L’histoire des tours à Paris et dans sa banlieue est celle de quelques réussites (comme la tour Eiffel, appréciée par l’auteur), et de très nombreuses déconvenues, notamment au cours des années 1960 et 1970 avec le quartier des Olympiades (13ème arrondissement) ou le Front de Seine (15ème arrondissement). "Comme aucune tour parisienne n’est vraiment une réussite, on comprend mieux les réticences des Parisiens au projet du maire"   . Mais surtout, il démonte les arguments des "pro-tours". La tour n’est pas très écologique : elle consomme au minimum 130 KWh par m² et par an, quand le Grenelle de l’environnement et le Plan Climat de Paris entendent limiter à 50 KWh par m² et par an la consommation des bâtiments neufs.

La hauteur n’offre pas nécessairement plus de densité : les règles de prospect entre les tours empêchent leur côtoiement et en font des éléments isolés. Quant à la mixité sociale, en raison du coût très élevé des charges locatives pour les habitants de ces bâtiments, elle paraît difficile à réaliser dans ces "enclaves sécurisées" verticales.

Aussi, la promotion des tours se heurte-t-elle à sa conception d’une architecture et "d’un urbanisme de l’accueillance" développée dans la troisième partie de l’ouvrage : l’urbanisme n’est pas la technique utile à la réalisation des "grands projets" ou encore des équipements "structurants" comme le pensent certains. Il est défini comme " la manière démocratique d’agencer les activités des citadins dans le temps et dans l’espace"   . Et l’auteur de conclure sur cette phrase "L’habitabilité d’un immeuble, d’une rue, d’un quartier, d’une ville, repose avant tout sur la pulsion de vivre et de créer de chaque terrien, de parler à l’autre, d’échanger, de communiquer, d’être avec et parmi, dans une unité affective avec la Terre et le Ciel, les éléments, et non pas sur son isolement dans une tour, fût-elle de verre … ou d’ivoire !".

On peut regretter, pour cet ouvrage, l’absence d’illustrations et quelques petites inexactitudes. Mais on ne rendrait pas compte de ce livre sans mentionner l’imposante bibliographie commentée qui l’accompagne ; elle ne peut que susciter des envies de lecture. L’essentiel est donc là : avec ce livre, on peut s’armer pour rentrer dans le débat sur les tours en prenant un peu de … hauteur !