Un compte-rendu à deux voix sur les lycées de banlieue qui préparent  l’entrée à Sciences-Po Paris : un juste milieu entre pragmatisme et utopie.


Chacun se rappelle des émeutes de 2005, où le mal être des banlieues avait éclaté aux yeux de la France entière. Quelques décisions concrètes avaient résulté de ces événements, notamment le projet (encore peu connu) de Richard Descoings, directeur de Sciences Po, de mettre en place des classes expérimentales dans quatre lycées sensibles de la région parisienne : Jean Renoir (Bondy), Jacques Feyder (Epinay sur Seine), Auguste Blanqui (Saint Ouen), et Alfred Nobel (Clichy-Sous-Bois). Cinq cent élèves de seconde ont participé à l’aventure de ce qui sera peut-être les lycées de l’avenir. Dans ces écoles pas comme les autres, l’ambition personnelle est le maître mot, et tous les moyens sont bons pour aider les élèves à exploiter au mieux leurs capacités. Parmi les moyens concrets mis à leur disposition, on citera des cours où plusieurs enseignants enseignent en parallèle, la participation des élèves à des voyages d’étude en Chine ou à New York, la création d’une pièce finalement présentée au Théâtre de l’Atelier, la mise en place de forums des métiers et les interventions de professionnels devant les élèves… Bien d’autres projets, apparemment utopiques, sont mis en place pour ces adolescents à qui on n’avait jamais donné leur chance et à qui, pour la première fois, des adultes accordent une confiance pleine et entière. Pour lever les fonds nécessaires, les investigateurs du projet ont l’idée révolutionnaire de se faire soutenir par des entreprises mécènes. Ils font ainsi appel, entre autres, à la Fondation Lagardère, à EDF, etc. Ce livre raconte donc aussi le pont construit peu à peu entre les arcanes de l’Éducation nationale et les réalités de l’entreprise, la rencontre parfois chaotique de deux univers que tout oppose.  Le lycée de nos rêves est un compte rendu à deux voix de l’expérience.

Cyril Delhay, responsable du programme Égalité des chances à Sciences Po, fait office d’infatigable interface entre les lycées, les entreprises bailleuses de fonds, et les administrations. De réunions en déjeuners, de mails en coups de fil, des salles de cours feutrées de Science Po au lycée Blanqui de Saint Ouen, de la Mairie de Clichy aux ors du Sénat, il est de tous les combats et obtient généralement gain de cause. Il raconte ses luttes pour persuader des enseignants et des proviseurs de participer à l’aventure, pour répondre aux persiflages des différents syndicats enseignants, pour lever des fonds afin de mettre en œuvre ses projets onéreux …

Quant à Thomas Reverdy, agrégé de lettres modernes et enseignant à Bondy dans l’un des lycées expérimentaux, il raconte au jour le jour l’expérience vue du terrain. En donnant à ces jeunes ce dont ils n’auraient jamais osé rêver, les enseignants réunis autour de ce projet fou aident les élèves à mettre en avant le meilleur d’eux-mêmes, et à exploiter au mieux leur immense potentiel. Accessoirement, Thomas Reverdy raconte avec humour les tribulations d’une équipe enseignante ultra soudée, brusquement confrontée aux réalités du marché : recherche de sponsors, comptes-rendus réguliers à rendre aux donateurs, mise en place de dossiers, organisation de voyages pour cinq cent élèves, de forums, de projets lourds à gérer … Thomas Reverdy et l’équipe enseignante se prennent peu à peu au jeu, et se débarrassent de la méfiance innée que le monde de l’éducation a pour celui de l’entreprise : "C’était stressant," dit-il, "parce que les profs sont toujours persuadés qu’ils ne savent que donner des cours. Et très gratifiant de s’apercevoir que c’était faux."

Quand aux élèves, principaux intéressés, l’expérience les révèle à eux même : au fil des pages, on les voit sortir des carcans de préjugés et développer leurs formidables capacités. Le lecteur stupéfait reste impressionné devant les progrès fous de ces jeunes, qui n’avaient besoin que d’un peu d’attention et d’argent pour dépasser leurs limites d’une façon fulgurante : Ainsi, une élève de seconde évoque comme si de rien n’était les colonnes de Buren devant une artiste de la Comédie Française assez épatée. Une classe en visite à New-York assiste à une conférence de cinq heures en anglais, participe, débat et se passionne. Parmi ces élèves dont le destin semblait tout tracé, bien nombreux seront ceux qui présenteront des dossiers pour des classes préparatoires aux Grandes écoles… Un projet qui semble donc aussi utile aux professeurs qu’aux élèves !

L’histoire n’est pas finie, et le bilan définitif sera dressé en 2009, quand les premières classes de 2nde auront passé leur bac … on referme le livre plutôt confiant dans les résultats futurs#f#