Critiquer Sarkozy, c’est bien. Sur le fond plutôt que sur la forme, c’est mieux. Jean Peyrelevade transforme l’essai… cahin-caha.

On ne compte plus les bouquins sur Sarkozy. Pour dire qu’il est trop fort, trop bling-bling, trop malin, trop bourrin… Bref, on prend la pose et/ou on indispose, mais rarement on propose. Avec Jean Peyrelevade, Plon publie un livre qui a le mérite de suggérer des pistes plutôt que de simplement tortiller des hanches ou savonner la planche. Par contre, le titre ne fait pas dans la finesse : "Sarkozy : l’erreur historique". Et puisqu’il faut bien savoir qui est l’auteur pour mieux comprendre son propos, intéressons-nous à son parcours… sinueux.

 


De Mauroy au Modem

Né en 1939, Jean Peyrelevade est nommé conseiller économique et directeur-adjoint du cabinet de Pierre Mauroy à Matignon en 1981. Sa mission : gérer les nationalisations. Il s’exécute avec diligence, tout en professant son opposition au processus, ce qui lui permet de se recycler efficacement : président de Suez de 1983 à 1986, de la banque Stern de 1986 à 1988, de l'UAP de 1988 à 1993, du Crédit lyonnais de 1993 à 2003… On ne pourra pas le taxer d’incompétence en matière d’économie et de finance.

D’ailleurs, il est associé gérant dans la banque d'affaires Toulouse et associés, et arrondit ses fins de mois comme administrateur de plusieurs grandes sociétés françaises. Sa condamnation en 2006 dans le cadre de l'affaire "Executive Life" ne semble pas émouvoir grand monde   . Visiblement, peu importe une mise à l'épreuve de cinq ans assortie de trois ans d'interdiction d'entrée sur le territoire américain puisqu’il fut en mesure de débourser sans s’endetter les 500 000 dollars d’amendes qu’on lui réclamait. Après tout, il n’a fait que fournir à la Fed de fausses déclarations. Rien de grave, pas vrai ?

D’ailleurs, finalement, il n’est qu’une victime de ce qu’il appelle "le capitalisme total"   . Ancien professeur d’économie à Polytechnique, son credo est la dénonciation de cette forme exacerbée du capitalisme contemporain (qui montre largement ses failles aujourd’hui) : il propose d'interdire les stocks-options comme part de la rémunération des dirigeants et d'offrir des dividendes plus avantageux aux actionnaires. Ce qu’il justifie, à raison, par un évitement de conflits d’intérêts et une limitation des allers-retours spéculatifs.

Mais depuis Mauroy, Peyrelevade a fait du chemin : fervent soutien de François Bayrou pendant l'élection présidentielle de 2007, il est désormais vice-président du MoDem en charge des questions économiques. Le parti orange se voulant le principal parti d’opposition en France (l’important, c’est d’y croire…), il est logique qu’un de ses cadres se fende d’un ouvrage anti-Sarkozy. Et cette fois, on ne pourra pas l’accuser d’être partisan d’un centre mou.

 


Plaidoyer pour une franche rigueur


"Le Président élu l’a été pour tourner le dos à l’immobilisme dont il accuse ses prédécesseurs. Doté d’une grande aptitude à l’action, il l’exerce hélas de travers. Voulant incarner la rupture, il est dans l’exact prolongement des erreurs du passé. (…) Loin d’augmenter le pouvoir d’achat, il nous conduit vers une stagnation de notre niveau de vie."


Brouillon, pressé, ambitieux, le président de la République donne le sentiment de vouloir tout changer. Mais parce qu’il est trop agité voire démago, il aggrave les difficultés du pays plus qu'il ne les réduit. À trop tergiverser en prétendant soutenir à la fois l'offre et la demande, il ne procède en rien à la rupture avec ce qui a été fait depuis trente ans, et "son erreur est tristement historique". La thèse de Peyrelevade se résume en quelques mots : la source profonde des difficultés françaises réside dans l'affaiblissement de l'économie productive. Car les entreprises supportent des coûts salariaux excessifs et des impôts qui s'alourdissent pour combler le déficit budgétaire engendré par les cadeaux fiscaux accordés aux ménages. Bref, accablées de charges, les entreprises n'investissent pas assez.

En clair : le mal vient aujourd'hui des entreprises et non des ménages, car l'économie est tirée (difficilement) par la consommation au lieu de l'être par l'innovation et l'investissement. Subséquemment, il est urgent de mener une politique de l'offre et non de la demande en rétablissant les marges bénéficiaires des entreprises plutôt que le pouvoir d'achat des familles. Pour sortir de la crise, Jean Peyrelevade propose donc un plan de rigueur qui tient en quelques mots : prendre trois ou quatre points de PIB dans la poche des ménages pour les donner aux entreprises. En substance, cela revient à imiter l’Allemagne en imposant la modération des salaires et la hausse des prélèvements, en promettant l’abaissement des charges des entreprises dès que l'État aura rétabli ses comptes.

Le janséniste appréciera l’esprit de sacrifice, mais vue la chute du pouvoir d’achat en France, geler les salaires ne ferait que contribuer à la paupérisation du corps social et à l’accroissement des inégalités. De plus, supprimer l'impôt sur les sociétés en le remplaçant par un impôt sur les dividendes, c’est oublier un peu vite que la moitié des dividendes sont versés à des non-résidents (qui ne payent donc pas d'impôt en France). Enfin, on notera que l’argumentaire de Peyrelevade s’appuie sur quelques… curiosités. Par exemple, il affirme que la productivité horaire en France n’augmente pas plus vite qu'en Allemagne alors que les statistiques d'Eurostat disent le contraire   . Comme quoi, on fait bien dire aux chiffres ce que l'on veut.

 


Comparaison n’est pas raison

Pour justifier ses propositions, l’auteur endosse le costume bien pratique d’acteur du tournant de la rigueur de 1983. Et de nous rappeler que les décisions prises furent rapidement bénéfiques avec un étouffement de l'inflation, un redressement des comptes publics et une dynamisation des exportations. Avec raison, il précise cependant que ce tournant ne fut possible que par la conjonction de trois facteurs : une équipe soudée de politiques et de hauts fonctionnaires, une politique dûment conceptualisée et l'aide irremplaçable de la contrainte extérieure   .

 



Or les situations de 1982 et de 2008 ne sont pas franchement comparables, car les trois facteurs de 1982 sont absolument absents : Nicolas Sarkozy décide seul (et c’est une bille en macroéconomie), il n'y a personne dans le staff présidentiel pour formuler clairement une politique de l'offre et la solidité de l'euro permet pour l’instant de laisser filer les déficits en toute impunité monétaire.

Ceci étant, si on met de côté toute considération sociale, la thèse de Peyrelevade se défend et sa rhétorique fait mouche. Par contre, la démonstration gagnerait grandement à livrer une analyse détaillée des réformes engagées par l’équipe de joyeux lurons du commandant Fillon. Par exemple, si on admet que la France aurait besoin d'une politique d'ajustement bien plus sévère que celle qui est engagée, on peut se poser la question de la pertinence des mesurettes fiscales engagées par un gouvernement qui n’en finit plus de courir après les quinze milliards offerts aux contribuables les plus fortunés en juillet 2007…

 


Une variable : l’élection


L’auteur a le sens de la formule et résume son propos dans un slogan efficace : "La fausse réforme ne permet pas de faire l'économie du vrai changement." Si le propos peut tenir la route, on voit mal comment appliquer un tel plan de rigueur sans braquer tous les partenaires sociaux et mettre des millions de manifestants dans les rues. Effectivement, Mauroy l'a bien fait, comme le signale son ancien conseiller. Mais c’est aussi pour ça que le PS a implosé… et il ne s'en est manifestement toujours pas remis.

De plus, Jean Peyrelavde dit et répète au sujet de Sarkozy que "son erreur est historique comme sera tristement historique son élection par un peuple floué", mais ne va pas plus loin que ça dans le questionnement démocratique. Pourtant, c’est bien tout le problème de l’action publique, surtout quand on veut agir depuis un parti aussi minoritaire que le MoDem : comment se faire élire sur un tel programme ?

On imagine difficilement que Madame Michu et le Père Lustucru vont voter pour quelqu’un qui leur promet de se serrer la ceinture alors qu’ils doivent déjà supporter la hausse des prix avec des salaires qui ne suivent pas. Sans compter la franchise médicale, la fin de l’exonération de redevance télé pour les foyers modestes, la franchise justice, la baisse des allocations familiales, les déremboursements des médicaments et des soins… N’en jetez plus !