Un ouvrage qui parle trop d’Europe et pas assez de Nicolas Sarkozy.
Le style Sarkozy s’accorde-t-il des lenteurs et compromis inhérents à la construction européenne ? Depuis son accession à la présidence de la République en mai 2007, Nicolas Sarkozy a beaucoup fait pour orchestrer le "retour de la France en Europe", comme il l’avait promis au soir de son élection. Un Européen très pressé, le dernier ouvrage de Jean-Dominique Giuliani – président de la Fondation Robert Schuman, think tank français de référence sur les questions européennes – se propose de décrypter les convictions européennes du président français et de dresser un bilan de son action en Europe après une année de mandat. Malheureusement, le livre accorde souvent trop de place à une analyse générale des enjeux européens, ce qui décevra ceux qui attendaient une véritable plongée dans les coulisses de la politique européenne de la France.
Dans la conduite des affaires européennes comme dans l’administration des questions intérieures, Nicolas Sarkozy ne chôme pas. C’est ce qui ressort d’Un Européen très pressé, qui passe en revue les nombreux sujets européens sur lesquels le président français s’est impliqué depuis son élection.
Le livre de Jean-Dominique Giuliani se lit d’abord comme le récit du choc entre la méthode Sarkozy, directe et pressée, et le temps long des négociations bruxelloises. La première mission que le président français s’est confié en matière européenne a été de réconcilier le camp du "oui" et les partisans du "non" lors du référendum de mai 2005, qui a condamné à l’échec le processus de ratification du traité constitutionnel. Son intuition pendant la campagne présidentielle s’est révélée juste : un "traité simplifié" reprenant peu ou prou les dispositions institutionnelles de la Constitution européenne permettrait de sortir la construction européenne de l’ornière tout en recevant le soutien des États membres qui avaient déjà ratifié le traité constitutionnel.
Les circonstances étaient certes propices à la réussite de l’initiative française : les dirigeants européens étaient fatigués d’une décennie de débat institutionnel et n’attendaient qu’une occasion – comme l’élection d’un nouveau président en France – pour le mettre derrière eux. Ce sera fait pendant la présidence allemande de l’Union en juin 2007, avec un accord politique sur un nouveau traité obtenu grâce à la détermination conjointe de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel.
Le président de la République n’arrivera pas toujours à ses fins. L’ambitieux projet français d’ "Union méditerranéenne" réunissant les pays du pourtour méditerranéen sera critiqué en particulier par l’Allemagne (par peur d’être mise sur la touche) et finalement dissous dans une relance plus vaste du "processus de Barcelone", qui a largement échoué depuis plus de dix ans à contribuer au développement économique et à la paix dans les pays du Sud. Dans d’autres cas, c’est le style des initiatives françaises qui agacera : le couple Sarkozy jouera un rôle très médiatisé dans la libération à l’été 2007 des infirmières bulgares et du médecin palestinien emprisonnés en Libye, au point d’éclipser l’important mais discret travail de négociation mené en amont par la Commission européenne et d’autres États membres.
La pensée européenne de Nicolas Sarkozy est, elle aussi, en rupture avec les standards européens. C’est le second fil d’Ariane d’Un Européen très pressé : même si la France est bel et bien "de retour en Europe", le président de la République n’est pas un européiste au sens classique. Ses hommages appuyés à la construction européenne sont souvent ponctués d’attaques contre la Banque centrale européenne et d’appels à la défense des "champions nationaux" – qui lui vaudront un début de relation tendu avec la chancelière allemande. En fait, l’action du président français dépasse l’opposition traditionnelle entre fédéralistes et intergouvernementalistes : Nicolas Sarkozy souhaite faire de la politique à l’échelle européenne, afin que les politiques de l’Union – à commencer par celle de l’élargissement – soient comprises et acceptées par les citoyens européens. Il n’hésite donc pas à affirmer clairement une position à contre-courant sur des sujets sensibles, comme lorsqu’il s’oppose à l’adhésion de la Turquie à l’Union ou quand il propose de nouvelles relations entre l’Europe de la défense et l’OTAN.
Nicolas Sarkozy propose également un mélange surprenant de libéralisme et de protectionnisme. Très favorable à l’intégration en 2004 de huit pays d’Europe centrale et orientale aux motifs qu’elle a marqué la véritable fin du totalitarisme communiste et a redynamisé le marché intérieur, le président français veut également une "Europe qui protège", un slogan qui joue sur les peurs et les incertitudes économiques des français.
L’ouvrage de Jean-Dominique Giuliani insiste, à raison, sur cette originalité de la méthode et de la pensée européennes de Nicolas Sarkozy. Mais il aurait certainement gagné à relater l’action européenne du président de la République à travers ces deux prismes, plutôt que via de (trop) longs chapitres thématiques. Sur la plupart des sujets abordés, Un Européen très pressé souffre en effet de trois faiblesses.
Tout d’abord, il accorde trop d’importance à des informations contextuelles qui enrichissent peu le contenu du livre : le chapitre sur les relations franco-allemandes décrit aussi longuement les liens historiques, culturels, politiques et économiques entre les deux pays que les sujets spécifiques sur lesquels Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont affrontés – pour finalement conclure que la politique allemande du président français ne divergera que peu de celles de ses prédécesseurs.
Ensuite, le lecteur est parfois laissé dans l’incertitude quant à la nature de nombreux passages : ainsi, l’argumentaire contre l’entrée de la Turquie dans l’Union (chapitre sur la politique d’élargissement) reflète-t-il la pensée de Nicolas Sarkozy ou un développement de l’auteur en faveur des positions prises publiquement par le président de la république ? Dans le chapitre consacré aux valeurs européennes, est-ce Jean-Dominique Giuliani ou Nicolas Sarkozy qui pense que l’Europe "doit au christianisme" d’être "devenue pour le monde un modèle de protection des personnes et de tolérance envers les religions et les idées" ? Le simple fait de se poser la question fait perdre au texte – ainsi égaré entre l’exégèse et l’essai – beaucoup de son intérêt.
Enfin, s’il met justement en valeur les réussites européennes de la première année du mandat présidentiel, l’auteur fait parfois preuve d’une grande indulgence vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. En ce qui concerne la Russie, il est trop facile de mettre le volte-face du candidat devenu président sur le compte des contraintes de l’ "agenda international" – qui n’expliquent en rien pourquoi le président français prendra la peine d’être l’un des premiers à féliciter Vladimir Poutine à l’issue d’élections législatives ni libres ni justes. Il est également un peu rapide de décrire l’abandon de la revendication de modifier les statuts de la Banque centrale européenne comme un "changement de tactique" : il s’agit en réalité d’un revirement politique majeur sur une question centrale de politique macroéconomique, en particulier au sein de la zone euro.
A contrario, le chapitre sur "l’Europe qui protège" adopte l’approche que l’on aurait souhaitée pour l’ensemble de l’ouvrage : directement structuré autour de la pensée du président, il va à l’essentiel. Le chapitre intitulé "leadership français", pour sa part, présente de manière vivante l’envers du décor politico-administratif de l’exercice de la présidence française de l’Union. Au-delà, Un Européen très pressé décevra les lecteurs qui auraient souhaité que la politique européenne de Nicolas Sarkozy – notamment ses racines historiques, culturelles et idéologiques – constitue le cœur de l’ouvrage, plutôt que le principal point d’entrée d’une revue détaillée des grandes questions européennes du moment