M-D. Seiffert relate sur plus d’un demi-siècle l’histoire d’Eurocopter, en analysant ce qui a fait le succès de l’entreprise.
 

Comment devient-on leader mondial dans la fabrication d’hélicoptères ? L’auteur   tente de répondre à cette question en mobilisant l’histoire mais aussi les sciences de gestion   .

Le parcours de l’entreprise qui deviendra Eurocopter se déroule sur plus d’un demi-siècle et il n’a pas été rectiligne. L’auteur montre comment les orientations stratégiques, les innovations technologiques et les choix d’organisation que l’entreprise a pu faire ont combiné leurs effets dans un processus d’apprentissage sur la longue durée. Celui-ci a permis à l’entreprise de se constituer un portefeuille de ressources et de compétences qui a fait son succès.

L’auteur distingue quatre périodes. La première débute à la Libération (même s’il remonte en fait aux années 1930) avec le lancement de programmes d’études et de recherches tous azimuts, à un moment où la technologie n’était pas encore stabilisée, et s’étend jusqu’à la mise au point d’une innovation radicale : le premier hélicoptère à turbine mécanique industrialisé au monde (l’Alouette II, en 1956). Le lecteur non-spécialiste trouvera sur le web   toutes les informations utiles concernant le fonctionnement des hélicoptères et en particulier les différentes configurations de rotors, mais aussi des photos de tous les modèles évoqués dans le livre, dont on regrette un peu l’absence, en particulier dans cette partie.

La deuxième période court de 1955 à 1965. Elle est marquée par les difficultés de constituer une gamme pour remplacer, à terme, les hélicoptères lourds américains achetés ou fabriqués sous licence   , qui allaient servir en Algérie. Cela alors que l’entreprise est confrontée aux demandes contradictoires des différentes armées (Terre, Air, Marine). C’est également l’époque où l’on anticipe l’utilisation des hélicoptères comme moyen de transport civil régulier, ce qui n’allait pas se concrétiser. Finalement, l’entreprise ne parvint pas à mettre au point son hélicoptère lourd Frelon, ce qui la conduisit à se tourner vers un partenaire, Sikorsky, qui accepta un transfert de technologie. Si celui-ci ne déboucha pas sur le succès commercial espéré, il permit à l’entreprise de s’approprier la technologie des hélicoptères lourds (plus vite que son partenaire américain ne l’avait imaginé) et de réaliser une percée sur la génération suivante (avec le Puma). La division Hélicoptères (de Sud Aviation créé en 1957) rencontra plus de succès dans les hélicoptères moyens, que l’entreprise développa sur ses fonds propres au contraire des hélicoptères lourds qui bénéficièrent de crédits militaires. C’est la famille des Alouettes qui lui permit de s’imposer à l’exportation.

La troisième période s’ouvre au début des années 1960 et se termine au début des années 1980. Elle est caractérisée par une forte croissance des marchés militaires puis des marchés civils, et l’absence de concurrence sérieuse américaine du fait de la guerre du Vietnam. C’est l’époque de la mise en place de deux coopérations importantes. D’une part, une coopération croisée avec la firme Westland (Royaume-Uni) pour réaliser les programmes militaires Puma et Gazelle (qui allaient connaître un grand succès à l’exportation). D’autre part, une coopération sous forme de licence avec l’entreprise allemande Bölkow, qui avait développé une innovation technologique portant sur la fabrication de pales en matériaux composites. Dans les années 1970, le renouvellement de la gamme (avec les Ecureuil, Dauphin et Super Puma constituant la 3e génération de produits) s’effectua dans l’optique d’un développement des marchés civils. Ces derniers connurent alors une forte croissance, en particulier aux États-Unis (ils bénéficièrent également du développement de la production pétrolière en Mer du Nord). La division Hélicoptères de l’Aérospatiale s’engagea, à travers sa filiale américaine, dans de lourds investissements commerciaux et technologiques afin de répondre à la demande des clients américains. Celle-ci signa notamment le fameux contrat des Coast Guards concernant le Dauphin, qui allait entraîner ensuite des pertes très importantes pour l’entreprise.

Cette réorientation vers les marchés civils conduisit également la division Hélicoptères à mettre en œuvre des changements d’organisation radicaux, notamment des innovations de procédés transférés de l’industrie automobile, pour faire baisser les coûts, tout en continuant à innover dans l’utilisation de nouveaux matériaux, explique l’auteur. Cette période est particulièrement complexe et le lecteur risque d’éprouver quelques difficultés à assimiler l’ensemble des éléments présentés. Le développement des marchés civils qui se substituent progressivement aux marchés militaires largement administrés conduit l’entreprise à se transformer radicalement. Manque également à cette partie une explication plus claire des difficultés qu’ont rencontrées les entreprises américaines à la fin de la guerre du Vietnam   , qui ont permis à l’entreprise de tirer son épingle du jeu.

La quatrième période court du début des années 1980 à nos jours. Elle est marquée par plusieurs événements. Premièrement, le retournement spectaculaire des marchés civils, que personne n’avait prévu et qui allait entraîner une grave crise financière pour la division Hélicoptères de l’Aérospatiale. Deuxièmement, la baisse des dépenses militaires avec la fin de la guerre froide. Et enfin, ce qui peut-être décrit comme une "dématuration" de l’industrie des hélicoptères avec l’évolution, commune à toute l’industrie de l’armement, vers l’intégration de systèmes.

La réponse de l’entreprise allait consister à "militariser" les programmes civils de troisième génération, en procédant à des innovations incrémentales. Et à se positionner, pour le futur, comme le pilier principal des nouveaux programmes militaires européens (hélicoptères de combat et hélicoptères de transport), qui avaient pris beaucoup de retard du fait des difficultés inhérentes aux coopérations dans l’industrie de l’armement. Ce avant de fusionner, en 1992, avec son homologue allemand, la division Hélicoptères de MBB   , pour créer Eurocopter (ouvrant ainsi la voie à la création d’une société européenne d’aéronautique et de défense).

Cette fusion, bien préparée, allait permettre à l’entreprise de devenir, au tournant du XXIe siècle, leader mondial, grâce à la mise en commun des réseaux commerciaux, des gammes de produits et des compétences technologiques des deux entités. Cette évolution ne s’est pas faite sans que l’entreprise ait dû, au début des années 1990, s’adapter à une autre baisse conjoncturelle des marchés civils, qu’elle aborda heureusement avec de bien meilleurs outils de prévisions que la fois précédente. Au milieu des années 1990, les programmes de la quatrième génération civile connaissaient un début de carrière commerciale très satisfaisant. L’entreprise introduisait des innovations de systèmes (avionique) sur les hélicoptères civils, ainsi que des innovations dans le service à la clientèle. À la fin de la décennie, les premières commandes concernant le Tigre et le NH 90 confortaient les positions de l’entreprise sur les marchés militaires. Tandis que celle-ci relançait son innovation technologique, poursuivait son développement international et achevait l’intégration de ses différentes composantes, désormais au sein d’EADS.

L’auteur revient en conclusion sur ce qui lui paraît expliquer cette réussite : l’accumulation de compétences diversifiées (en production, commercialisation et management), la mise en œuvre de processus d’apprentissage multiples (par la fabrication, l’usage, les échecs, les études, les concurrents) et la cohérence des décisions stratégiques (dans le temps, aux différents niveaux de l’entreprise et entre les différents domaines considérés). Le propos devient ici très général. Si l’auteur emprunte des concepts aux sciences de gestion, c’est essentiellement pour les utiliser, comme il l’explique du reste, comme grille de lecture (parfois en les réduisant à leur noyau fondamental, ainsi de la théorie évolutionniste en économie). Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’il les démontre ni, a fortiori, les enrichisse. En revanche, il aura permis de repérer les occurrences qui leur correspondent dans une histoire d’entreprise décrite de manière convaincante, ce qui devrait faciliter les travaux de comparaison et d’approfondissement auxquels lui-même ou d’autres pourront se livrer.

Les histoires d’entreprises sont des variations sur les produits, les hommes et les organisations (en intégrant souvent leur dimension spatiale, ce qui n’est pas le cas ici). Celle-ci fait une large place au processus d’innovation et au cycle de vie des produits en relation avec l’évolution des marchés, ce qui n’est pas la partie la plus facile à faire partager au lecteur, mais l’auteur s’en sort bien. Les spécialistes d’histoire des entreprises tireront certainement un grand profit de ce livre. Le lecteur non spécialiste, pour lequel il reste tout à fait accessible, y trouvera une vision de la gestion dépassant le court terme, où les erreurs sont une source d’apprentissage et où les stratégies émergent parfois du contexte sans être délibérées