Un monument de mémoire regroupant des lettres de prisonniers de la Terreur, précédées d'une introduction qui éclaire leur aspect littéraire et documentaire.

Ce volume est la version remaniée d’une thèse de doctorat inspirée à Magali Mallet par le livre d’Olivier Blanc sur La Dernière Lettre, prisons et condamnés de la Révolution paru en 1984. La période concernée est plus précisément celle de la Terreur. Le 2 juin 1793, une foule de manifestants oblige la Convention à décréter l’arrestation de ses chefs girondins, Brissot, Pétion, Buzot, Condorcet, Roland, Vergniaud, Isnard. La plupart d’entre eux parviennent à s’enfuir, mais vingt-deux de leurs partisans sont incarcérés, dont Jeanne-Marie Roland, épouse de l’ancien ministre de l’Intérieur, Roland de la Platière. L’arrivée au pouvoir des Montagnards, dirigés par Danton et Robespierre et l’élaboration de la Constitution de l’an I, marquent le début de la période la plus sanglante de la Révolution.

Le nouveau gouvernement révolutionnaire s’organise autour de deux organes essentiels : le Comité de salut public, qui traite les affaires militaires, et le Comité de sûreté générale, chargé de rechercher et de poursuivre les suspects. Ces deux comités, qui exercent l’essentiel du pouvoir, sont renforcés par les Comités de surveillance régionaux et les représentants en mission. La Terreur voit le jour, qui va durer treize mois, de septembre 1793 à juillet 1794. Le terme désigne l’ensemble des mesures prises par le gouvernement révolutionnaire pour imposer à tous son autorité. La Convention la légalise à travers la terrible "loi des suspects" du 17 septembre 1793. L’exécution de cette loi et les quelques trois cent mille arrestations qui en découlent sont confiées aux Comités de surveillance et non aux autorités légales. À Paris, la Terreur s’incarne dans son principal instrument, le Tribunal révolutionnaire, qui condamne les suspects sans preuve formelle, et prend le visage de l’accusateur public Fouquier-Tinville. Ses jugements sont exécutoires dans les vingt-quatre heures et ne peuvent faire l’objet ni d’appel ni de cassation. Le 10 juin 1794, la Terreur se renforce et s’aggrave. La loi du 22 prairial an II simplifie en effet la procédure : le Tribunal révolutionnaire peut désormais juger sans interrogatoire préalable ni audition de témoins, les accusés sont privés de défenseurs, et le Tribunal ne peut prononcer d’autre peine que la mort. La "Grande Terreur" fait plus de victimes en un mois que d’octobre 1793 à mai 1794 : parmi elles, le chimiste Lavoisier, les poètes André Chénier et Jean-Antoine Roucher. Cependant, les difficultés économiques et sociales, la lassitude et l’inquiétude des Français devant la poursuite de la Terreur, et les divisions des chefs de la Montagne entraînent l’échec de la dictature robespierriste. Le 9 thermidor ou 27 juillet 1794, Saint-Just et Robespierre sont décrétés d’arrestation avec leurs fidèles. Le 10 thermidor, leur exécution marque la fin de la Convention montagnarde et du gouvernement révolutionnaire.



Des milliers d’individus arrêtés, emprisonnés puis exécutés, il ne nous reste rien, à part ces lettres publiées aujourd’hui par Magali Mallet. Elles sont conservées aux Archives nationales, dans les cartons 1 à 198 de la série W du Tribunal révolutionnaire, dite "juridiction extraordinaire" ou "fonds du parquet". Olivier Blanc avait proposé une édition des "dernières lettres" retrouvées dans ces archives que Magali Mallet exploite désormais de façon plus systématique. Cette somme de travail très utile comporte une introduction de plus de deux cents pages qui présente ces lettres et leurs enjeux paradoxaux de textes non évidemment littéraires mais documentaires. Vient ensuite le corpus proprement dit de ces lettres, restituées dans leur orthographe d’origine. Le lecteur disposera enfin d’une bibliographie très riche et de deux index très utiles, l’un des noms, l’autre des lettres.


La vie quotidienne dans les prisons de la Terreur

Ces lettres, décrites comme une "écriture du quotidien", permettent de prendre conscience des conditions de vie dans les prisons de la Terreur. Elles contiennent de nombreuses requêtes : vêtements, vin, argent…, c’est la vie matérielle dans ses plus infimes détails qui se donne à lire dans une proximité émouvante que n’entame pas le sentiment de répétition. Il s’agit d’ "améliorer l’installation carcérale", aussi bien la pitance que la cellule dans cette vie communautaire. En cette période révolutionnaire qui a rendu obligatoire l’usage du tutoiement, on est particulièrement attentif aux formules d’adresse. "Employé volontairement ou par obligation républicaine, le tutoiement marque de façon évidente un tournant dans les relations épistolaires conjugales. Dès le milieu du XVIIIe siècle, s’il est moins visible dans les débuts de lettres, il apparaît toujours dans les souscriptions lorsque le ton final se fait plus personnel […]. Sous la Terreur, l’utilisation se fait beaucoup plus fréquente. Si quelques irréductibles conservent encore le vouvoiement épistolaire, entre époux, les lettres mixtes mêlant le tu et le vous sont cependant les plus fréquentes, puisque la lettre traitant exclusivement de sentiments amoureux n’existe pas", note Magali Mallet dans sa présentation. La lettre se fait "messagère" et permet de garder l’espoir grâce à la "conviction de l’innocence", d’où la citation qui donne son titre au volume et que l’on trouve à de nombreuses reprises dans ces lettres : "rassure toi sur mon sort, n’ayant rien à me reprocher puisque ma conscience est pure" (Delarüe, De la maison d’arrêt ci devant collège Du plessis, ce 11 germinal l’an II de la République). L’acheminement du courrier ne va bien sûr pas de soi, ce qui explique que ces lettres soient consultables aux Archives. La tonalité dominante est le pathétique, comme on s’en doute. L’amour est sublimé et l’amitié mise à l’épreuve dans ces conditions précaires où la santé est un souci quotidien.


Écriture et liberté, écriture et survie

Écrire des lettres permet de garder une activité intellectuelle pour rester libre, comme le prouvent certaines listes de lectures et certaines réflexions philosophiques qui constituent une véritable discipline de vie. La vie spirituelle ne passe pas forcément par la foi. La lettre est perçue comme une causerie qui console et manifeste rarement une recherche particulière de style et d’effet littéraire, si ce n’est dans la familiarité. Il s’agit bien d’ "écriture ordinaire". Mais il s’agit d’abord de survivre, sinon réellement, du moins dans la mémoire de ses proches et pour la postérité. Malgré la censure, la lettre est perçue comme un ultime outil de défense et doit beaucoup à la rhétorique de la plaidoirie. Dans son rapport à la postérité, Magali Mallet la décrit comme une "relique laïque". C’est ainsi que l’on pourra trouver, page 199, une copie du billet rédigé à la hâte, quelques heures avant son exécution, dans son livre de prières, par Marie-Antoinette, à l’intention de ces enfants. L’original de ce billet est conservé à la bibliothèque de Châlons-sur-Marne. Ces lettres sont la chair vive de l’histoire et Magali Mallet a ces mots très justes à la fin de sa présentation : "Ces lettres, dont la lecture nous est permise aujourd’hui seulement parce qu’elle fut interdite à leurs véritables destinataires, posent […] un délicat dilemme ; en échappant à l’interception, elles auraient eu la possibilité de jouer leur rôle véritable : celui de réconforter, rassurer les familles qui les attendaient avec une douloureuse impatience. Avons-nous le droit, au nom de la recherche littéraire, de nous réjouir de cette censure qui priva des centaines de familles de la plus élémentaire consolation, et plongea les détenus dans cette "incommunication" que redoutait tant le poète Roucher ?" Ce livre est plus qu’un document, il s’agit d’un monument de la mémoire qui remet en question les critères établis de la valeur littéraire et même de la littérarité.