Un beau livre consacré aux images satiriques dans la France du 19ème siècle. Instructif et rafraîchissant.

* Pour rendre hommage aux cinq dessinateurs – Charb, Cabu, Honoré, Tignous et Wolinski – tués le mercredi 7 janvier dans les bureaux de Charlie Hebdo, nous revenons sur l’histoire de la caricature avec ce compte rendu, publié en 2007, d’un ouvrage collectif consacré aux images satiriques au XIXe siècle.

Qu’est-ce, au juste, qu’une caricature ? D’emblée, Annie Duprat insiste sur le fait qu’en dépit des apparences, « il n’est pas toujours facile d’en donner une définition satisfaisante »   , ce qu’appuie Bertrand Tillier en la qualifiant d’ « objet protéiforme et insaisissable » après avoir, néanmoins, esquissé les contours d’une définition : « une représentation révélant les aspects déplaisants ou risibles d’un sujet ou d’une situation, en en accentuant des caractères ou des détails choisis »   . Étymologiquement, « caricature » vient de l’italien caricatura, lui-même issu de latin caricare, dont nous avons tiré aussi le mot « charge »   .

L’ouvrage s’articule autour de cinq chapitres (3 chronologiques et 2 thématiques). Le premier couvre la période 1814-1848, qui voit les caricatures surveillées par le pouvoir, ce qui oblige les dessinateurs à les coder de plus en plus : « répression est mère d’invention »   , résume Annie Duprat. Le deuxième chapitre traite, quant à lui, des années 1867-1881 puisque, en 1852, Napoléon III rend la pratique de la caricature politique quasiment impossible. Cela conduit donc les caricaturistes à explorer de nouveaux sujets, notamment la satire de mœurs. À partir de 1867, le régime adoucit la législation, ce qui permet un nouveau développement de charges toujours plus transgressives. Le caricaturiste André Gill et l’éditeur François Polo en sont alors deux figures incontournables (avec, par exemple, La Lune). C’est également le moment où le progrès technique permet d’accroître les tirages et d’augmenter le nombre de vignettes dans les pages intérieures. La troisième période démarre en 1881, lorsque la liberté de la presse est enfin reconnue. Les thèmes majeurs des caricatures – dont on oublie parfois la violence, beaucoup plus forte qu’aujourd’hui – sont alors, sans surprise : la question sociale, l’antisémitisme et l’anticléricalisme.

Sont ensuite évoquées, dans un quatrième temps, les représentations véhiculées sur les femmes – dont la revendication du droit de vote est moquée –, les militaires – sous la IIIe République, durant laquelle le service militaire devient obligatoire, l’absurdité de la vie de caserne est raillée –, le monde des bourgeois – « microcosme où l’élégance des gestes et des costumes contraste avec la vanité des propos » –, etc. Dans le cinquième chapitre, Bertrand Tillier pose la question de la nature artistique de la caricature. Il note que, même si Baudelaire lui accorde d’être, dès 1857, un « genre singulier », la caricature reste dépréciée car associée à l’idée de stéréotype, mais aussi à une certaine médiocrité morale et plastique. De même rappelle-t-il qu’au tournant du XIXe et du XXe siècle, le caricaturiste voit son statut évoluer de celui d’artiste à celui de « journaliste de crayon »   . En effet, tout au long du XIXe siècle, l’auteur de caricatures a souvent suivi des études aux Beaux-Arts et se consacre davantage à la peinture (Gill, ou Daumier, par exemple) ; il ne voit ses « charges » qu’avec dédain, tout en se satisfaisant des revenus qu’elles lui procurent. Mais, petit à petit, il revendique davantage une démarche journalistique (on pense par exemple à Sennep).

Enfin, après ces propos assez généraux mais essentiels pour saisir la trame de l’évolution historique des caricatures, le lecteur sera heureux de trouver, en fin de volume   , une sélection de six images efficacement commentées qui – bien que conçue pour les enseignants – à n’en pas douter, le satisfera. Il regrettera toutefois que seules six d’entre elles aient reçu ce privilège.

Fort heureusement, les auteurs n’oublient pas d’évoquer les difficultés d’interprétation inhérentes à de telles sources   . Certes, « la satire s’attache (…) aux ressorts secrets de la société, ignorés par l’imagerie officielle. [Et] [p]ar contre coup, elle renseigne aussi sur les goûts du lectorat qu’elle cherche à séduire ». Cependant, elle est parfois malaisée à manier. Ainsi, s’il est intéressant d’étudier ce qu’elle représente, ce qu’elle donne à voir, il ne faut pas, pour autant, négliger ce qu’elle dissimule. En effet, pour se limiter à un exemple, le monde rural – qui représente plus de 80% de la population française des années 1870 – est significativement oublié…

On appréciera par ailleurs l’index (avec notice) des illustrateurs et des publications reproduit(e)s, ainsi que la présence d’une chronologie et d’une bibliographie. Mais l’essentiel de ce livre, dont on tourne les pages d’un œil amusé – voire goguenard – et ravi, n’est pas là. Il réside plutôt dans l’abondance de (très bonnes) reproductions (200 illustrations couleurs). Les présentations rapides, qui introduisent les chapitres, n’ont rien de rébarbatif et vont à l’essentiel, permettant au profane comme à l’amateur éclairé de décoder et savourer les coups de crayons bien placés. Et l’on se dit, au moment de ranger ce livre, qu’on en tournerait volontiers encore quelques pages..