Dans ces entretiens Pierre Michon rend compte de  la nécessité et de la difficulté d’écrire. Un retour sur son œuvre qui est aussi un retour sur lui-même.

"Je suis convaincu qu’on ne choisit pas ce qu’on est, qu’on ne peut pas se faire. Il arrive parfois qu’on ait la chance d’écrire les Vies minuscules, ou bien non. C’est toujours à cela que je pense. Si je n’avais pas écrit les Vies minuscules, je serais certainement dans le métro à faire la manche. C’est pour cela qu’on peut dire "ou bien" : ou bien il écrit les Vies minuscules, ou bien il fait la manche dans le métro."

C’est pour justifier son style et son parcours littéraire que Pierre Michon, l’auteur des Vies minuscules (1984) et de La Grande Beune (1996) écrit tant bien que mal sur la difficulté d’écrire. Il a réuni ici une trentaine d’entretiens donnés depuis 1984 où il revient sur sa vocation d’écrivain et évoque la vie et les œuvres de ses auteurs de chevet tels que Borges ou Faulkner, dont il disait magnifiquement qu’il lui avait "donné la clef, la violente liberté, l'audace d'entrer dans la langue à coups de hache. Il est le père de tout ce que j'ai écrit."

Au demeurant, nous ne sommes pas éloignés de ce qu’il entreprenait déjà dans les Vies minuscules : "L'ambivalence est au cœur de ma mythologie personnelle, dans ce petit écart qu'il y a entre la bibliothèque et le réel, mon enfance dans la Creuse et la découverte des grands auteurs. J'adore la littérature et je ne cesse de la détester comme un paysan sa terre." Explorant quelques-uns des grands mythes de l’art : la modernité, la vérité en littérature ou encore l’inspiration, il évoque aussi, plus simplement, cette nécessité d’écrire sur la vie, sur le monde, sur des personnes qui ont réellement existé et ont pourtant disparu sans laisser de traces. Leur rendre hommage pour ne pas les oublier est une manière de témoigner de leur existence et, pour la littérature, de se recueillir.

En réunissant ces entretiens, Michon dévoile aussi quelques-uns des secrets de fabrication de son "métier d’écrivain". On entrevoit ainsi sa passion pour les Aztèques, son goût pour la peinture, son admiration pour Borges ou encore sa fascination pour Rimbaud. Même s’il n’écrit pas beaucoup, la littérature ne lui est pas étrangère. Le roi, dans cette histoire, c’est bien entendu l’inspiration qu’il attend désespérément et qu’il entrevoit telle une illumination, un beau matin dans un bus. Mais, le roi c’est aussi lui, c’est aussi cette force littéraire, ce désir d’écrire et ce talent qu’il a du chercher en lui, au point de se faire violence. En revenant sur son passé, le lecteur comprend facilement que Michon est lui-même un personnage : il a grandi avec l’idée d’un père alcoolique et absent pour finir à Paris sans travail et passionné par la littérature "L’écriture ou rien." Michon écrit alors sur ce qui l’a construit ; les gens qui l’ont connu et ceux qui l’ont fait rêver, tels que Rimbaud. Réalité et imaginaire se mêlent ici pour créer un entre-deux vies, mais au fond n’est-ce pas là une façon de percevoir le monde, de le vivre, d’y exister et d’y trouver sa place ? A propos de Rimbaud le Fils, il écrit : "Alors oui, quiconque parle de Rimbaud est un usurpateur, puisqu’il se met à sa place, puisque écrire sur Rimbaud c’est vouloir en douce occuper le trône de "la littérature en personne." Mais, et si c’était cette volonté d’usurpation qui faisait les grands textes ?" À en lire Rimbaud Le Fils, il n’a certainement pas tort.

Le roi vient quand il veut est certes une velléité œdipienne, mais surtout une précieuse gangue de références littéraires et culturelles. Encore que son intérêt principal, comme tous les récits de formation et revendication de vocation, est certainement celui de comprendre le parcours, le cheminement intellectuel et moral de son auteur. Seul bémol peut-être, certains entretiens se recoupent, d’où certaines répétitions inhabituelles chez Pierre Michon, plus souvent à l’aise dans un style concis, si ce n’est lapidaire. On lui pardonnera de bon cœur ce léger désagrément ; d'ailleurs le lecteur est mis en garde dès les premières pages de l’essai.