Victor Zaslavsky retrace, dans ce petit livre, l’histoire du massacre de Katyn et de sa dissimulation par la propagande soviétique. Terrifiant et polémique.

Qui a assassiné, en avril 1940, dans la clairière d’un bois à proximité de Katyn, en Biélorussie, des milliers d’officiers polonais dont les corps furent exhumés, en 1943, par les Nazis ? Un demi-siècle durant, la propagande soviétique réussit à faire croire à la culpabilité allemande. Ce n’est qu’en mai 1988 que la vérité sur la responsabilité du régime stalinien dans ce massacre fut révélée. Ce sont précisément les mécanismes de cette falsification que Victor Zaslavsky, professeur à l’université de Rome (LUISS), entreprend de mettre à jour dans son livre dont paraît une réédition revue et augmentée. Peu de détails sont finalement donnés sur le déroulement du massacre lui-même   ou sur les criminels   . Le lecteur ne doit donc pas s’attendre à un livre du même type que les Hommes ordinaires de Christopher Browning (1993, traduction française : 1994)   .


Affinités totalitaires

L’auteur se penche d’abord, pour situer les événements dans leur contexte, sur le fameux "pacte Ribbentrop-Molotov" d’août 1939, dont une clause stipulait le partage de la Pologne entre l’Allemagne nazie et la Russie soviétique. Cet accord explique notamment pourquoi le Komintern – après l’attaque allemande – intima l’ordre (docilement accepté) aux partis communistes de ne pas défendre "la Pologne fasciste qui a repoussé l’aide de l’Union soviétique et qui opprime les nationalités". Peu de temps après l’Allemagne, l’Union soviétique entra en Pologne. En quelques semaines, les deux partenaires vinrent aisément à bout de la résistance polonaise et occupèrent les territoires prévus. Mais la collaboration de l’Allemagne nazie et de l’Union Soviétique ne s’arrêta pas là : à la fin d’octobre et au début de novembre 1939, les deux puissances s’échangèrent des prisonniers. L’Union soviétique livra 43.000 soldats polonais aux Allemands (dont de nombreux Juifs et des communistes), tandis que ceux-ci livraient quelques 14.000 soldats (parmi lesquels beaucoup d’officiers). L’auteur en conclut donc qu’"[e]n postulant l’opposition radicale entre le nazisme et le stalinisme, les historiens ont involontairement donné au XXème siècle un caractère téléologique"   , les deux régimes ayant trouvé, au moins ponctuellement, des points d’entente.


Un "nettoyage de classe" ?

Venons-en au massacre. D’après Victor Zaslavsky, plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce fait tragique   . Tout d’abord, ces prisonniers de guerre étaient, d’après Béria, "tous des ennemis jurés du pouvoir soviétique, plein de haine envers le système soviétique"   , en conséquence de quoi, d’un point de vue soviétique, leur élimination aurait pu apparaître comme le seul moyen de protéger l’État. Mais Katyn peut être également appréhendé comme relevant du "pur impérialisme" de la part de la Russie envers la Pologne. Ensuite, l’auteur évoque la possibilité de relier le massacre à la nécessité, pour les soviétiques, de vider les camps de prisonniers polonais afin d’y entasser des Finlandais. Par ailleurs, on ne peut selon lui écarter l’"aversion" et la "méfiance" de Staline envers les Polonais. Néanmoins, assure Victor Zaslavsky, l’essentiel ne tient pas à des motifs psychologiques ou touchant à la sécurité de l’État, mais à la dimension proprement idéologique d’une logique (totalitaire) d’élimination d’une catégorie de personnes en tant que telle. Les élites   étaient, en effet, dans le langage soviétique, des éléments "socialement hostiles", en vertu d’une vision du monde selon laquelle l’individu s’effaçait derrière sa classe. De sorte que l’auteur s’estime fondé à parler de "nettoyage de classe"   voire d’un "génocide de classe"   .

C’est assurément ici le point le plus sensible et le plus polémique de l’ouvrage. L’idée que l’URSS aurait procédé, via le goulag, à un "génocide de classe" fut notamment défendue par le très controversé Ernst Nolte   . Si l’on peut accorder une valeur heuristique au concept de totalitarisme, sur lequel s’appuie l’auteur sans d’ailleurs confondre nazisme et stalinisme   , peut-on pour autant innocemment aller jusqu’à déclarer que "le massacre de Katyn représente un cas emblématique de la politique de "nettoyage de classe", comme Auschwitz de "nettoyage ethnique" "   ? C'est faire peu de cas, nous semble-t-il, de l'"industrialisation" de la mort à Auschwitz et, d'autre part, du fait terrible que le génocide des juifs était, pour les nazis, une fin en soi.

   
Propagande soviétique et mutisme des démocraties libérales

D’une nature toute différente, un autre élément à la fois majeur et très troublant relaté par l’auteur, est la "complicité" tacite des démocraties libérales avec l’Union soviétique et sa propagande dont, pourtant, peu de responsables occidentaux étaient dupes   . L’auteur évoque ainsi, par exemple, des pressions exercées – avec succès – sur la Grande-Bretagne afin que ne soit pas inauguré, à Londres, un monument dédié aux victimes. Sous couvert de realpolitik – ne pas jeter l’opprobre sur un allié grâce auquel la guerre contre le nazisme avait pu être gagnée – les démocraties se sont en réalité fourvoyées : le "soi-disant pragmatisme et l’indifférence morale des hommes d’État et intellectuels occidentaux qui suivaient la ligne officielle soviétique (…) encouragèrent le gouvernement soviétique à poursuivre ses efforts d’abord pour falsifier la réalité historique, puis pour retarder l’heure de la reconnaissance de la vérité."   .

Ce petit livre aurait gagné à être étoffé, de manière à réduire les imprécisions et à consolider l’argumentation, notamment sur la question du totalitarisme, et, cela va sans dire, sur les aspects polémiques (car l’ouvrage traite surtout de la propagande soviétique, et peu du massacre en lui-même, auquel il attribue pourtant des qualificatifs qui ne manquent pas d’être contestés). Par ailleurs, ni bibliographie ni index ne sont proposés, ce qui est toujours regrettable. Cependant, l’intérêt de l’ouvrage réside principalement dans ses annexes. Celles-ci sont issues d’une partie des archives qui devint accessible durant la perestroïka. Mais depuis 2005, date à laquelle le tribunal militaire de la Fédération russe prit la décision d’archiver l’enquête sur le massacre, celles-ci sont de nouveau inaccessibles. L’auteur y voit "le symbole du rejet, par l’administration Poutine, de la politique de démocratisation et de répudiation des falsifications historiques"   . À juste titre

 

* À lire aussi : Alexandra Viatteau, Katyn. La vérité sur un crime de guerre (André Versaille), par Nicolas Patin.