Succédant au français Jean-Michel Palmier qui avait publié en 1988 Weimar en Éxil, Joseph Horowitz se concentre essentiellement sur l’exil qui a marqué les domaines artistiques de la musique, du théâtre et du cinéma en Amérique, dans son récent ouvrage intitulé Artists in exile.

Horowitz, historien américain connu pour ses écrits consacrés à la musique classique aux États-Unis, axe son essai, dans un premier temps, sur la musique, en faisant de Dvořák la figure de proue de l’exil musical aux États-Unis, avec Mahler et Caruso.
On apprend ainsi que les nombreux embarquements qui suivirent la révolution Russe de 1917 et l’exode induit par l’arrivée des Nazis au pouvoir en 1933 poussèrent environ 1 500 musiciens européens à s’installer aux États-Unis.

Toutefois, les États-Unis ont d’emblée porté une attention et un intérêt particuliers aux performers et non aux compositeurs. Aussi Stravinsky ne devint-il célèbre par la suite que pour les compositions antérieures à son arrivée en Amérique en 1939. À l’inverse, Béla Bartòk connut son apogée en Amérique.

Hormis les commentaires un peu anecdotiques qui ponctuent le texte, (ou comment à Hollywood, Schoenberg se retrouvait à jouer au ping-pong avec son voisin George Gershwin), le grand journaliste australien Clive James souligne les apports et l’influence qu’ont pu exercer les avant-gardes et les artistes européens en Amérique, à moins que ce ne fut l’inverse…

Ainsi, le chorégraphe russe George Balanchine, qui collabore à plusieurs reprises avec Igor Stravinski, avait carte blanche quant à ses choix et partis pris artistiques aux États-Unis, où l’art du ballet n’était pas encore très développé, et où un nouveau style européen pouvait redonner un souffle à la danse. Mais Horowitz semble ainsi soulever la question de savoir si Balanchine a réellement importé le style européen en Amérique ou s’il a tout simplement aidé l’Amérique à enrichir un patrimoine déjà acquis.

Côté cinéma, il évoque la difficile adaptation des allemands Fritz Lang et Murnau au système américain. En outre, il pointe du doigt l’industrie du cinéma outre-Atlantique, en avance sur tous les mouvements en -isme européens (expressionnisme, symbolisme...) que les réfugiés furent forcés de laisser derrière eux.

Horowitz souligne néanmoins la consécration croissante de Billy Wilder et voit en Lubitsch "un artiste moyen ingénieux qu’on a pris pour un intellectuel génial". Puis il se ravise et reconnaît dans Ninotchka, du même Lubitsch (1939), l’exemple d’une Amérique projetant sa vision libérale sur l’Europe, replongée dans ses anciennes ruines.

Il fait de cette manière la distinction entre l’ambition qu’avaient les exilés de changer les arts américains, et le fait accompli que les mouvements artistiques américains ont changé le monde, et les exilés avant tout. Le rêve d’une "haute culture démocratique" qu’entretenait le chef d’orchestre anglo-polonais Stokowski ne s'est jamais accompli.

L’ouvrage riche et révélateur, d’après Clive James, est de surcroît parsemé de citations savoureuses, à l’image de cette phrase du cinéaste Otto Preminger adressée à ses compatriotes hongrois exilés : "Don’t you people know you’re in Hollywood ? Speak German !"

 

*Lire l’article de Clive James, Free to try, Times Litterary Supplement, 22 au 29 août 2008

Joseph Horowitz : Artists in exile, How refugees from twentieth-century war and revolution transformed the American performing arts, 480p., HarperCollins, $27.50