Le numéro d’août-septembre de la revue Esprit publie un entretien riche et captivant entre le philosophe américain Stanley Cavell et le cinéaste français Arnaud Desplechin   .


La discussion s’ouvre sur la découverte de Cavell par Desplechin en 1993 avec À la recherche du bonheur, célèbre essai consacré à Hollywood et la comédie du remariage, outil précieux pour le cinéaste qui tourne alors Comment je me suis disputé...(ma vie sexuelle). Dans ses écrits, Cavell a su décrypter la comédie et le mélodrame, deux genres que convoque Desplechin dans son Conte de Noël (toujours en salles), œuvre sous haute influence cavellienne comme le rappelle précisément Élise Domenach dans son analyse critique du film précédant l’entretien.

C’est après la lecture de La projection du monde que Desplechin se pose une question essentielle : comment la signification arrive-t-elle au film ? Repartir du spectateur pour trouver sens, voilà qui rompt avec la conception "sacralisante" de l’auteur chez Bazin. Desplechin explique ainsi clairement en quoi il se sent plus proche d’une vision cavellienne que bazinienne du cinéma. Le regard critique américain de Cavell s’interroge sur les statuts du spectateur et de l’auteur et affirme que la signification d’un film apparaît directement sur l’écran, le cinéma ne faisant rien d’autre que l’éloge de la réalité, du monde, à la différence d’une "prière bazinienne". Le cinéma est donc un art populaire selon le philosophe et le metteur en scène, car seuls les films parviennent à susciter des réactions aussi mouvementées et lucides chez un savant comme un ouvrier : le cinéma déchaîne-t-il les passions plus que tout autre art ?

Stanley Cavell propose en outre un exemple de "dépliement" d’un film, en établissant une filiation logique entre les frères Coen et Frank Capra. Son analyse, loin d’être savante ou experte, se nourrit de façon empirique des émotions et de l’effet que produit le film sur Cavell, "homme commun qui utilise des mots communs pour s’adresser à des gens communs". Son regard phénoménologique sur le cinéma offre un jeu de piste passionnant et ludique pour quiconque s’intéresse au cinéma.

Pourquoi les films comptent-ils ? Desplechin soutient que c’est dans son besoin de croire au monde que s’exprime la véritable origine de sa passion : "Je vais au cinéma voir n’importe quoi et, en sortant, je me sens appartenir au monde." L’éloge touchant se clôt sur une image tirée du film Hannah et ses sœurs, dans lequel Woody Allen, ratant son suicide, se sent à nouveau vivant en allant voir un film des Marx Brothers au cinéma. Belle leçon de cinéma, et de vie.

En voulant refaire de la philosophie et du cinéma un bien commun, et en laissant perdurer l’héritage classique, Cavell et Desplechin se font les partisans d’un art populaire qui compte plus que tout autre

 


* "Pourquoi les films comptent-ils? Discussion entre Stanley Cavell et Arnaud Desplechin", Esprit, août-septembre 2008


À lire également :

- "Un conte de Noël, la nouvelle Arcadie d’Arnaud Desplechin" par Élise Domenach dans le même numéro d'Esprit.