Un ouvrage ambitieux sur le western et l’histoire des États-Unis, dont la structure affaiblit malheureusement le propos.

Le western : miroir des États-Unis

Le western est un genre en voie de disparition. Son règne, depuis quelques décennies, est menacé par la science-fiction ou les films d’action dans lesquels les duels se jouent loin des rues poussiéreuses de l’Ouest. Reflet de la puissance montante des États-Unis au début du XXe siècle, de leur suprématie, puis de leurs doutes, il persiste aujourd’hui sous des formes diverses, incarné par Le secret de Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005) ou Trois enterrements (Tommy Lee Jones, 2005), mais a perdu son ancrage historique : la conquête progressive des territoires de l’Ouest américain dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Le western est un cliché des États-Unis. Instantané d’une époque cruciale dans l’histoire du pays, il est également mythe, celui d’une nation conquise par de valeureux pionniers, d’une terre promise arrachée aux sauvages. Le western, c’est les cow-boys et les Indiens, les bons et les méchants. Le stéréotype semble presque inhérent au genre, en particulier au cinéma où les codes visuels permettent d’identifier aisément les allégeances des différents personnages. Le western devient figure de l’Amérique, il s’intègre à l’histoire que les États-Unis se racontent sur eux-mêmes, et dès lors s’ouvre aux interprétations politiques comme aux manipulations idéologiques ; ce genre est intimement lié, dans l’imaginaire collectif, à la perception des États-Unis, et peut ainsi être un critère de mesure de la popularité de la puissance américaine dans le monde. Ainsi, dire de quelqu’un aujourd’hui qu’il "se prend pour un cow-boy" n’a rien de positif ; et peut-être les enfants contemporains ont-ils plus tendance à prendre le parti des Indiens…


Une approche érudite

Le livre de William Bourton a pour ambition d’analyser le genre du western au cinéma, en prenant en compte les trois temporalités qui caractérisent ce genre : celle de l’histoire racontée, celle de la réalisation du film, et la réception. En d’autres termes, comme il l’écrit dans son introduction, il s’agit de développer "le parallèle entre les fictions du XIXe siècle et la réalité du XXe". Il s’aide pour cela de références à quelques 192 films, et en sélectionne dix, qu’il analyse en profondeur comme reflets d’une époque. Les chapitres, présentés de manière chronologique, font se succéder histoire générale des États-Unis, histoire de l’industrie cinématographique et analyse de films. Cette structure, malheureusement, a tendance à diluer l’originalité du propos. Le livre porte bien son nom, et il y a bien peu de ponts entre l’analyse du western et l’histoire des États-Unis. Ce parallélisme emmène le lecteur sur deux voies totalement différentes, en ne lui permettant pas de comprendre réellement en quoi l’analyse permet de les lier. Certains récapitulatifs d’histoire semblent par ailleurs superflus : les quelques paragraphes sur la révolution américaine, par exemple, apportent peu à la réflexion sur le western. Le mythe de la frontière est bien plus lié à la période des pèlerins (Pilgrim Fathers) et à l’idée de la Terre promise (la "cité sur la colline" du discours de John Winthrop) qu’à celle de la guerre d’Indépendance.

L’auteur a, à l’évidence, fait de nombreuses recherches pour explorer le sujet. Il demande d’ailleurs au lecteur, dans l’introduction, de "pardonner l’accumulation de (…) notes de bas de pages, qui n’ont d’autre but que d’asseoir le propos, de faire la part de la légende et des faits avérés". Mais les nombreuses références font parfois obstacle à la lecture, et l’on ne comprend pas toujours quel est le public visé. Par ailleurs, et l’on peut s’en étonner de la part d’un éditeur comme les PUF, de nombreuses coquilles subsistent tout au long du livre.



Les évolutions d’un genre


L’ouvrage apporte indéniablement beaucoup d’informations sur l’évolution du genre du western. Les analyses de films sont souvent passionnantes : elles permettent de découvrir ou de redécouvrir des œuvres comme L’Étrange Incident (The Oxbow Incident, 1943) ou Le Soldat bleu (Blue Soldier, 1970), et montrent les transformations multiples d’un genre autrefois roi, et dont l’avenir semble aujourd’hui incertain. Il se réinvente, notamment à travers la représentation des Indiens, que les revendications identitaires des années 1970 (portées notamment par l’American Indian Movement) feront évoluer. Danse avec les loups est un exemple très intéressant de cette évolution. Comme l’écrit William Bourton, ce western est "à la fois atypique et conventionnel. Atypique dans son plaidoyer "anti-Blanc" et conventionnel dans son lyrisme… comme dans son manichéisme". Le western aujourd’hui ne peut se passer d’un discours sur lui-même, il est, inévitablement, conscient non seulement de l’histoire qu’il représente, mais de la sienne propre. C’est ce qui explique sans doute que les westerns au sens strict aient presque disparu aujourd’hui, et laissent la place à des formes contemporaines qui associent plusieurs genres (western et science-fiction pour Wild Wild West de Barry Sonnenfeld, 1999), l’adaptent aux questions de société actuelles (Brokeback Mountain, Ang Lee, 2005) ou encore décrivent le déclin même du genre et de la mythologie qui lui est associée, cette "Amérique mourante (…) celle des cow-boys tant magnifiés mais devenus sous prolétaires au service de puissants patrons invisibles et lointains ; celle du western, tout simplement", comme dans Trois enterrements de Tommy Lee Jones (2005).


Malgré cette richesse (les listes de westerns marquants des différentes périodes sont une source précieuse pour ceux qui s’intéressent à ce domaine), on éprouve, au sortir du livre, une certaine insatisfaction, un désir de voir l’auteur nouer les différents fils de son analyse, afin peut-être de mieux saisir les implications idéologiques et symboliques d’un genre que l’on a souvent tendance à voir en noir et blanc